Abercrombie & Fitch Une marque sur le fil, entre documentaire MTV et NRJ 12, est aussi superficiel que l’objet du délit qu’il décrit.
Synopsis : Ce documentaire retrace le phénomène A&F de la fin des années 90 au début des années 2000 et la façon dont la marque “des gens cool” a bâti son succès sur l’exclusion.
Retour d’Alison Klayman sur Netflix
Critique : Documentariste hyperactive, Alison Klayman a réalisé beaucoup de choses pertinentes dans le passé, notamment un portrait nécessaire sur l’artiste chinois iconoclaste Ai Weiwei (Ai Weiwei: Never Sorry) et le pamphlet contre le nabab de l’extrême droite américaine, Steve Bannon – le grand manipulateur (The Brink), ancien proche de Trump dont l’ambition était et est toujours d’imposer le chaos dans les démocraties occidentales en aidant les candidats nationalistes à arriver au pouvoir. Cette incursion au plus près du Mal était même sorti en salle tellement il était d’utilité publique.
Après Jagged, film sur le réel de l’icone des années 90 Alanis Morissette, diffusé sur HBO aux USA, Alison Klayman revient à Netflix qui avait diffusé sur sa plateforme Take your Pill intelligence sur Ordonnance, mais en visant une cible anachronique qui a émoustillé les ados des années 90 et 2000, Abercrombie & Fitch.
Abercrombie & Fitch Une marque sur le fil : un sujet daté et stérile
Abercrombie & Fitch Une marque sur le fil apparaît comme un choix étonnant de la part de l’auteure qui cède à une actualité de l’inclusion sur le ton des chaînes ado ou celui des documentaires sensationnalistes qui exclut immédiatement toute aspérité journalistique.
Si pour nous Français, Abercrombie se résumait à une inlassable file d’attente sur les Champs Elysées, à Paris, constituée de jeunes lookés et de touristes voulant s’afficher au milieu de fringues aux prix surréalistes et de torses de vendeurs sculptés insipides, le documentaire explique un phénomène américain qui nous dépasse un peu et dont on se demande pourquoi la réalisatrice a bien voulu y passer du temps, tant l’héritage de ce genre de compagnie nous paraît aujourd’hui stérile.
Le mythe d’une Amérique coloniale revu à la sauce progressiste contemporaine
De sa renaissance grâce à la vision raciste de son odieux PDG Mike Jeffries, jusqu’à son déclin inévitable à l’ère des réseaux sociaux où sa politique discriminatoire notoire ne pouvait pas perdurer, la société Abercrombie & Fitch était construite sur un mythe nostalgique, très yankee, d’une élite de chasseurs randonneurs, à polos soignés, qui avait périclité avec la fin d’un monde colonialiste. Les lycéens américains et les centres commerciaux se sont excités lors du revival de la marque, dans les années 90, porté par les clichés en noir et blanc, d’une beauté homoérotique, du photographe Bruce Weber, toujours prêt à exalter avec nostalgie la masculinité des dortoirs des fraternités américaines.
En 2022, le documentaire suscite la curiosité. Un article du Guardian loue la valeur sociologique d’un regard sur une époque que l’on a connue. Mal nous en a pris d’avoir cédé à la curiosité.
Une réflexion qui ne voit pas plus loin que le bout de son sujet
Avec la jugeotte d’une série de commentaires sur Twitter, le documentaire multiplie les poncifs dans sa construction narrative, sa forme pop et ne cherche jamais à approfondir son enquête, avec une incapacité à replacer le phénomène A&F dans un système plus large, d’une idéologie et d’un capitalisme primitifs. La boîte de prêt à flinguer du laid est étrillée gentiment par des témoignages tièdes et sans emphase, ceux de repentis qui ont profité du système mais qui sont passés du côté de la lumière (on y croit à peine), ou d’exclus d’hier dont on se demande bien pourquoi ils ont pu, à un moment donné, vouloir un instant incorporer pareil cirque tant le concept était vil.
Du côté de la réalisatrice, on est déçu. Dix ans plus tôt, du vivant de la marque, essayer d’éclabousser via le média de l’image un industriel du racisme en boîte aurait été pertinent, aujourd’hui, on se dit que la réflexion est paresseuse, incapable de relier avec subtilité les différents mouvements qu’elle mentionne (#MeToo via l’affaire Epstein ou Weber…), le monde d’hier avec celui des dérapages de notre époque, celui d’ influenceurs qui ont dans leurs principes l’ADN de la mascarade A&F. Cela en diminue l’impact du sujet qui finit par ne parler qu’à lui-même. Après tout, les médias, réseaux sociaux et l’internet en général ne font-ils pas que recycler la fameuse beauté tant exaltée par l’ancienne boîte du trouble Mike Jeffries, en l’exposant à des cibles de jeunes désemparés face à l’inaccessibilité du paraître?
Un film qui ne nous parle pas
Bref, le documentaire ne nous parle pas et semble voué à se faire in fine l’espace publicitaire du nouvel Abercrombie & Fitch, plus inclusif, plus grande taille… et surtout plus consensuel, mais en tout cas, peu enthousiasmant. A vrai dire, dans le désintérêt porté pour le sujet, on n’avait même pas remarqué la disparition du magasin français sur les Champs…
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2022 © Netflix
