Note des spectateurs :

La fin d’un eldorado cinématographique, d’une décennie de promesses. Nastassja Kinski, épouse d’un homme-père, mère de deux enfants, semble volontairement laisser sa carrière lui filer entre les mains. Installée en Europe, elle met de côté sa carrière américaine et se concentre désormais sur d’obscures productions essentiellement italiennes, allemandes, voire russes. Reçoit-elle encore des scénarios français ? On ne peut pas imaginer que non, et pourtant la star devient quasiment invisible en France pendant quelques années, avec une phase d’inédits qui va remettre en question la pertinence des espoirs fondés en elle entre 1980 et 1987. Nastassja Kinski, les années italiennes, c’est le troisième volet de notre biographie consacrée à “la Kinski”.

Nastassja Kinski, une biographie partie 2, par Frédéric Mignard

Movie Poster : Artist Unknown. All Rights Reserved

Cinema inferno

En 1988, Kinski est membre du Jury au festival de Cannes. Elle est alors la plus jeune membre du jury dans l’histoire du festival, comme le soulignera à juste titre Michel Drucker lors de la remise des prix, le 23 mai 1988.

Peu à peu, la filmographie de Nastassja Kinski s’étiole. Si Les eaux printanières, de Jerzy Skolimowski (avec Timothy Hutton et Valeria Golino) est un beau film couvert par une sortie en salle en France, il ne marque pas les esprits.

Le soleil même la nuit des frères Taviani (avec Julian Sands et Charlotte Gainsbourg) offre à Kinski une nouvelle belle rencontre cinématographique. Paolo et Vittorio Taviani, figures historiques du festival de Cannes, sortent du triomphe de Good Morning Babilonia, avec Vincent Spano. Evidemment, Le soleil même la nuit est en sélection officielle à Cannes, en 1990. Mais la réception est bien plus terne, même si le film demeure une réussite manifeste au sein de leur carrière. Lors de la conférence de presse, Charlotte Gainsbourg est mal à l’aise face aux journalistes et Kinski, d’une sublime beauté, doit encore se justifier de sa filiation à Klaus quand son seul souhait serait, métaphoriquement, de tuer le père. Lorsqu’on lui pose une question sur le génie de celui-ci, s’ils discutent ensemble de cinéma, elle répond exaspérée, « Jamais, on ne se parle jamais, on ne se voit jamais. » C’est le malaise d’une époque où la souffrance de l’actrice est loin d’être considérée.

Les eaux printanières de Jerzy Skolimowski Jerzy

Affichiste : Jouineau-Bourduge.

Habituée cannoise depuis Tess, la Kinski fera encore un film dans l’esprit du festival en 1993, la suite des Ailes du désir de Wim Wenders, Si loin, si proche ! Malgré un Grand Prix du Jury à Cannes, la production allemande essuie un véritable échec en salle. Un de plus pour l’actrice qui, dans un second rôle atmosphérique qui lui sied plutôt bien, semble victime d’une malédiction personnelle que l’on résumerait par sa capacité à enchaîner les bides de grands cinéastes qui viennent de sortir d’un succès historique. Les ailes du désir, sorti à une semaine d’intervalle de Maladie d’amour en septembre 1987, avaient happé 1 079 432 spectateurs en France. Far Away, So Close, six ans plus tard, restera dans l’ombre de son prédécesseur (174 764).

La bionda, affiche

© Fandango – Artiste inconnu. Tous droits réservés.

A partir de 1988, Nastassia Kinski enchaîne des rôles que les Français ne découvriront jamais : le film allemand Magdelene de Monica Teuber est insipide : seul le jeu de l’actrice, perdue dans un casting de deuxième catégorie, permet à cette réflexion académique sur les tourments de la passion chez les religieux de trouver un peu de lumière. Elle incarne une prostituée sur la voie de la rédemption grâce à la prise en main d’un prêtre amoureux.

L’impasse italienne

Dans un cinéma italien qui se meurt, Kinski apparaît dans Clair (Par une nuit de clair de lune) de Lina Wertmüller (avec Rutger Hauer, Dominique Sanda, Peter O’Toole, Faye Dunaway) que l’on découvrira en 1997 ou en VHS. La réalisatrice rebelle de Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été, Pasqualino et Camorra manque de notoriété à l’étranger. Les stars et la sélection à Venise ne permettront pas à Clair d’entrevoir une ouverture sur les marchés internationaux.

Durant ses années italiennes, Kinski enchaîne des œuvres minuscules, destinées aux seuls cinémas italiens, comme si elle voulait se soustraire à la célébrité. Il segreto de Francesco Maselli est totalement inconnu et ne sortira que localement. L’actrice retrouve néanmoins le cinéaste pour L’alba qui ne connaît pas une meilleure exploitation à l’étranger. L’étrange huis clos en chambre d’hôtel la voit encore une fois gaspiller son talent et sa cinégénie de jeune trentenaire. Des œuvres clairement pas à la hauteur d’une actrice de sa trempe dont on ne comprend plus l’acharnement et l’obstination à s’embourber dans des œuvres indignes de ses précédents vertiges cinématographiques. Avec la comédie In camera mia (1992) avec Gianfranco Manfredi et Ricky Tognazzi, puis La Bionda de et avec Sergio Rubini  (l’une des vedettes de Intervista de Fellini, produit par son ancien époux), la comédienne touche le fond. Au moins, avant Internet et la mondialisation des informations, les spectateurs français ignorent tout de cette reconversion. Si l’intention de la jeune mère de famille était de se retirer du monde, tout en restant capable de nourrir son engeance par des choix alimentaires, la mission de sabordage artistique est parfaitement réussie. Le monde entier ignore ce qu’elle devient et les années 90, tournées vers un cinéma d’action et de divertissement, moins riche en cinéma d’auteur fort, semblent bien se passer d’elle quand apparaissent dans son créneau de nouveaux visages, certes moins sulfureux, comme Emma Thompson ou les icônes féminines de la nouvelle scène indépendante américaine.

Nastassja Kinski n’aura aucune nostalgie pour cette époque et la plupart de ces films qu’elle confirmera avoir tournés pour prendre en charge sa famille comme elle le pouvait, tout en restant à l’abri des paparazzi et de la presse à scandale. Cette dernière ne s’était-elle pas fait un malin plaisir à raconter le délitement de son mariage avec Ibrahim Moussa (1984-1992), jusqu’à l’enlèvement de ses deux enfants en Egypte ? C’était alors ce qui se racontait. Mais ça c’est leur histoire…

Frédéric Mignard