Note des spectateurs :

C’est presque pareil ! L’anthologie de la contrefaçon au cinéma, c’est du rêve à chaque page, comme on en trouve peu en librairie à l’étranger, mais fleurissant en France, notamment grâce au système du crowdfunding qui permet aux archivistes du cinéma de retrouver le sourire dans un monde aseptisé : celui des plateformes de streaming ou tout n’est plus que numérique.

Retour au papier donc avec le nouvel ouvrage de Claude Gaillard qui, comme ses prédécesseurs, sent bon le cinéma de quartier avec ses panneaux publicitaires gigantesques et putassiers qui vendaient l’existence même du film sur un simple visuel car l’œuvre en question ne trouvait nullement sa place dans les magazines spécialisés. C’est aussi un ouvrage qui remémore les plaisirs interdits des jaquettes de vidéocassette qui faisaient saliver tous les mômes des années 80, face aux murs de VHS et V2000, avec des visuels sortis de nulle part et qui déclenchaient l’instinct de l’imaginaire chez chacun.

C’est qu’on pouvait toucher le cinéma à cette époque et cela n’avait pas de prix, si ce n’est un coût assez bas, car l’indépendant n’était pas là pour fantasmer des pactoles sur les vilains petits canards qu’il placardait sur ses murs. L’industrie n’avait pas encore aseptisé la vilaine bête.

Gaillard, miroir de nos jeunesses, c’est le gars qui a ressenti à l’identique nos fantasmes de toiles en découvrant une affiche dessinée d’un produit sorti de nulle part. Gaillard, c’est celui qui a vibré sur les mêmes farces et attrapes, c’est le collectionneur que nous avons été ou que nous rêvons tous d’avoir été. En tout cas, c’est aujourd’hui un magicien qui convoque nos souvenirs et ravive les plaisirs coupables d’antan.

Après le cultissime Bad Requins, l’histoire de la Sharksploitation qui nous avait noyés dans les océans poissonneux des ersatz des Dents de la mer, le monsieur poursuit sa course aux visuels sublimes, ceux d’un univers cinématographique qui s’affiche mieux qu’il ne l’est. Avec Retour vers les futurs (aka Quand le post-apo prédisait l’avenir !), il compilait les post-nukes, ces producteurs dont on raffolait dans les années 70-80 et qui relataient “le jour d’après” la bombe. Le sous-genre de la science-fiction de poussière et de métal était tellement populaire que même Johnny Hallyday s’était rêvé en star de Mad Max et avait accompli un Terminus de sinistre réputation qu’il faut revoir aujourd’hui, si, si.

Dans ce post-nuke movie-poster book, les textes étaient accompagnés d’affiches que l’on n’osait même plus fantasmer à voir compilées ensemble, au cœur du même ouvrage.

Puis, en 2020, est venu le temps de Cyborgs Versus Androïdes, l’homme-machine au cinéma. Toujours chez Omaké Books, dans la collection Omaké VHS, l’homme est réduit à la machine hybride d’un système d’exploitation “androïde”, et traîne ses carcasses dans des séries B explosives (Terminator, Robocop) ou Z (les versions ritales qui en découleront). L’ouvrage complet aborde même la série télévisée et les “Xterminator”, le pendant cochon de la chose.  Peu de ces jalons sortiront en salle : ils sont essentiellement réduits au marché de la VHS, celui des “flying jaquettes”, comme disait Mad, marché où l’on vend du gringalet avec des visuels monumentaux qui volent très souvent leurs idées au bon sens des autres, ceux qui ont réussi commercialement.

Pas bête le Gaillard, Claude nous sort donc, en toute logique, un nouvel ouvrage en octobre 2020, un complément parfaitement mûri des bouquins précédents. Il s’agit cette fois-ci d’exalter le génie des faucheurs de bonnes idées, des terroristes du système qui, éhontément, s’approprient dans le vol et la bonne ambiance, les formules des autres. Ces gars jouaient sur un titre, une affiche, un nom d’acteur. Ils osaient tout à une époque ni globale ni contrôlée par les studios hollywoodiens qui, la plupart du temps, laissaient couler dans les urinoirs des vidéo-clubs.

C’est presque pareil ! que les autres bouquins de Gaillard

Claude Gaillard nous sort un best of compilé des phénomènes des années 70-80, mais également des trucs plus contemporains, où les illustrateurs se lâchent pour s’approprier le phénomène original dont ils ne sont, il faut le souligner, pour rien. Des sous Police Academy qui deviennent Flic Academy ou bien Police Epidemy (il fallait l’oser celui-ci), des sous-E.T. avec notre ingénieux historien du bis qui nous ressort le nanar hilarant El E.T.E y El Oto, sorte de version trisomique du film de Steven Spielberg qu’on ne se lasse pas de revoir entre potes… Tout y passe. Gaillard balance ensuite sur les sous Alien, revisite les relectures d’Indiana Jones, James Bond, Rambo. Soyons virils, messieurs, ou ne le soyons pas. Dans ce bordel des droits outragés, l’ouvrage propose du lourd, mais aussi du beau. Pour pas grand-chose, certains jeunes illustrateurs proposaient des visuels d’une beauté épique. De ceux qu’on a aimé collectionner et que l’on collectionne encore.

Le jeu des analogies entre posters, au mieux dans la révérence, au pire dans le plagiat, est toujours un moment exaltant pour l’amateur de flying jaquettes. Les dauphins inoffensifs nés du phénomène squalesque de Jaws en disaient long sur la mafia de la VHS. Les contrebandiers du pire étaient prêts à tout. La double page entre l’affiche de Pulsions de Brian De Palma et celle destinée à vendre les vidéocassettes de (l’insupportable) The Refrigerator, en disent long aussi. Ici, c’est le bien le style du fameux illustrateur Landi que l’on pille. On imagine bien Quentin Dupieux se faire une culture bis dans ce monde irrespectueux des idées tellement mauvaises qu’elles en deviennent géniales. On vous rappelle qu’on parle ici d’un frigo qui tue…

La vérité cinématographique n’est qu’un détail de l’histoire du bis

Parfois, ce sont les noms mêmes des artistes qui sont outragés. Bruce Lee a accouché à sa mort d’une véritable Bruceploitation (à ce sujet, on vous conseille l’ouvrage encyclopédique Fist of Bruce Li, de Bruce No (alias Stéphane Noguès) et le succès de Terence Hill et de Bud Spencer a déchaîné les copieurs (Paul Smith et Michel Coby, vous remettez?).

Il n’y a pas de mal à se faire plaisir dans la légalité d’un ouvrage qui s’amuse de tout ce qu’il y avait de plus rigolo dans l’exploitation crasse par des producteurs véreux et des éditeurs peu scrupuleux quant au droit d’auteur. A cette époque dingue, la vérité cinématographique n’était qu’un détail et Claude Gaillard vous explique tout avec des centaines de visuels anciens et récents (les sous Paranormal Activity, les ersatz de Twilight…). Tout a été restauré, enjolivé, le papier et le format confinent au plaisir d’une lecture confortable pour des étagères accueillantes. C’est que nos bibliothèques ont désormais un pan du cinéma d’exploitation à abriter…

Merci (encore) à Claude Gaillard et à tous les bisseux qui permettent de faire survivre cet art qui, sans Internet, aurait disparu à tout jamais…

Frédéric Mignard

Auteur : Claude Gaillard / Préface : James Cameroun / Éditeur : Omaké Books / Date de sortie : 22 octobre 2020 / Prix :19€90 / 192 pages / 21 x 15 cm / ISBN: 2379890196 EAN: 978-2379890192