Oeuvre de la terre sèche, Viendra le feu fait basculer l’ancien monde dans les flammes et dresse un portrait fascinant d’une région de l’Espagne calcinée par le repli sur elle-même et l’atavisme. Un Prix du Jury à Cannes, dans la section Un Certain Regard, incandescent.
Synopsis : Amador Coro a été condamné pour avoir provoqué un incendie. Lorsqu’il sort de prison, personne ne l’attend. Il retourne dans son village niché dans les montagnes de la Galice où vivent sa mère, Benedicta, et leurs trois vaches. Leurs vies s’écoulent, au rythme apaisé de la nature. Jusqu’au jour où un feu vient à dévaster la région.
Viendra le feu et l’angoissante prophétie
Critique : Film à l’atmosphère oppressante, Viendra le feu démarre par une scène du sublime, qui aurait pu être insérée dans une histoire d’épouvante… La destruction d’une forêt qui ploie sous la force d’une entité invisible, puis mécanique… Nous ne sommes pas dans un remake d’Evil Dead avec son démon et sa caméra subjective fonçant dans les bois, mais bien dans la vision dramatique d’un auteur sur une région reculée de l’Espagne, d’où ressort un certain mysticisme, une angoisse, tout comme quand l’engin mécanique destructeur s’arrête face à un arbre séculaire à la carrure imposante. Immédiatement l’Homme-spectateur est replacé dans sa condition peu confortable d’être limité face à l’infiniment grand…
Olivier Laxe, réalisateur franco-espagnol, impose son regard puissant, ingénieusement présent au bon moment et au bon endroit, car il s’agit de prises qui nécessitent un vrai travail de coordination en amont. Jamais le cinéaste, en cas de loupé, ne pourra revenir en arrière ; on ne reconstruira pas la forêt pour nos beaux yeux, et sa destruction nous est déjà pénible à l’écran. Les cris des arbres qui meurent ne sont jamais agréables à nos oreilles. Il en sera de même quand le cinéaste filmera, plus loin dans la deuxième et impressionnante seconde partie, les flammes de véritables incendies dont l’action destructrice nous laisse en position de témoins apeurés. Backdraft de Ron Howard est loin de nous avoir fait le même effet que Viendra le feu, malgré l’économie de moyens de ce dernier.
Le film, austère, à mi-chemin entre le cinéma radical de Carlos Reygadas et celui d’un documentaire sur le monde rural déclinant, est un impressionnant chant du cygne, un requiem qui laisse peu de place à l’espoir, pour ces petites gens, isolées dans la beauté spectaculaire de la Galice, déprimées par un mauvais temps qui inocule une impression de fin du monde (le titre français, en forme de prophétie). L’espoir de relancer la région en la recentrant dans la réalité moderne (construire des gîtes pour touristes, sous le regard surpris d’une vieille génération, loin de la réalité de la gentrification du tourisme, qui se demande pourquoi le monde moderne s’intéresserait à leur enclave hors du temps), s’embrase et balbutie dans les cendres.
Oeuvre magnifiquement rugueuse, requiem douloureux
Au centre du regard bienveillant de Laxe, l’on trouve les relations taiseuses entre une mère bienveillante, de plus 80 ans, vivant seule avec son troupeau, active dans la douleur d’un corps qui ne peut plus travailler la terre, mais qui doit encore s’y atteler quotidiennement, et son fils qui sort de prison après deux ans d’enfermement pour incendie volontaire. Ce personnage masculin, aussi magnifique que celui de sa mère à l’écran, c’est Amador. Elle, c’est Benedicta. Deux prénoms qui sont aussi ceux des acteurs non-professionnels, qui démarrent à l’écran avec leur force de gens du réel, leurs mains et visages crevassés. On ne sait que peu de choses d’eux, mais la force du métrage réside dans les silences, les scènes documentaires du travail sur les troupeaux, la terre, le partage d’affection avec un veux chien fidèle malgré l’arthrose qui participe au sentiment de déclin généralisé de ce monde. Il ressort une beauté formidable de ces moments, un attachement au sol, aux bêtes, qui devient nôtre. Quoi qu’ait pu faire Amador, décrit par un voisin comme un brave gars, puisque l’on ne saura jamais si l’incendie dévastateur était criminel ou accidentel, sa carapace et son mutisme d’homme meurtri en font un personnage passionnant et surtout signifiant, dans une oeuvre qui a beaucoup à dire et à montrer, mais toujours dans la finesse, jamais dans la démonstration.
Oeuvre magnifiquement rugueuse, requiem douloureux, Viendra le feu a reçu le Prix du Jury dans la section Un Certain Regard, à Cannes en 2019. Il ne pouvait en être autrement, tant sa projection est prégnante et intense. En brûlant un monde qui ne tient plus que sur un fil, cette oeuvre nous recentre dans un univers de larmes et de flammes. Mais les larmes sèches auront bien du mal à irriguer la réalité incandescente d’une Terre qui, décidément, ne tourne plus très rond.
Critique : Frédéric Mignard
Sorties de la semaine du mercredi 4 septembre 2019
Le test DVD
Après une exploitation en salle discrète, pendant 12 semaines, dans le circuit art et essai, Viendra le feu connaît une sortie DVD intéressante. Le film restera rare en DVD. Ceux qui l’ont apprécié à sa juste valeur en salle, sauront célébrer sa présence sur support physique.
Les compléments : 2 /5
Une interview du réalisateur franco-espagnol de 26 minutes est proposée comme seul supplément. Un point important à mettre au profit de cette sortie restreinte et singulière qui méritait, effectivement, qu’on la personnalise.
L’image : 3.5 / 5
L’image sobre, avec des teintes foncées et mélancoliques, parfois baignant dans la lumière d’un soleil méridional, trouve le ton juste. Il manque en revanche une définition HD pour pouvoir profiter pleinement des noirs profonds de la séquence d’ouverture ou de la richesse de composition des plans naturels, de pierre ou de brume. L’acuité des textures reste perfectible.
Le son : 3.5 / 5
Beaucoup de sobriété vocale, avec des voix qui se mélangent à l’environnement, et une grande sobriété dans les sons du quotidien qui se détachent dans un naturalisme qui prend tout son sens en 5.1. Des éléments d’une cuisine, la pluie, des petites choses d’un quotidien rigoureux. Les élans de musique préfigurant un drame que l’on sait poindre sont rares, mais intenses.
De bonnes conditions pour profiter de ce petit budget rugueux, entre documentaire pointilleux et peinture atavique somptueuse.