Un été à Changsha est un thriller chinois un peu bancal et complaisant, mais qui sait jouer avec les codes du polar pour mieux interroger le spectateur.
Synopsis : Dans l’été brûlant de Changsha, au cœur de la Chine, l’inspecteur Bin enquête sur la disparition d’un jeune homme dont le bras a été retrouvé sur les bords de la rivière Xiang. Mais les indices sont peu nombreux et Bin pense à abandonner l’affaire. Jusqu’au jour où il rencontre une mystérieuse chirurgienne qui se dit être la sœur de la victime
Du mal de vivre en territoire dépressif
Critique : Pour Un été à Changsha, son premier long-métrage, l’acteur Zu Feng choisit d’arpenter les chemins désormais très balisés du polar dépressif dont il reprend certains éléments tout en essayant d’en subvertir l’esprit et l’esthétique. C’est ambitieux, pas toujours abouti, mais au moins intéressant. Soit donc un duo d’enquêteurs, Bin et Lei, confronté à une découverte sordide : un bras retrouvé dans un fleuve, sans autre indice. Si l’on s’attend à une traque haletante, on sera déçu. Feng, qui s’est donné aussi le rôle de Bin en un geste légèrement masochiste, déplace le centre d’intérêt vers des personnages complexes, qu’ils soient à peine esquissés ou au contraire largement développés, s’attachant en particulier aux deux êtres symétriques, Bin et la sœur de la victime, Li Xue. L’un et l’autre ont vécu un drame qui leur fait traîner un mal de vivre et un sentiment très fort de culpabilité : la petite amie du premier s’est suicidée, la fille de la seconde est morte oubliée dans une voiture (on retrouve ici, sans que ce soit présent de manière trop complaisante, le goût affiché de ce genre de films pour le sordide). Bin, que l’on a vu dès le début seul au milieu d’un groupe, motif qui sera repris plusieurs fois pour insister sur son décalage et son inappétence, ne peut qu’être fasciné par la mystérieuse et indéchiffrable Li Xue. Leur relation évolue par à-coups et par prétérition, ce qui lui confère un caractère étrange, en accord avec leurs personnalités. Étrange comme les rêves de la jeune femme, ou la vision du policier : le fantastique affleure, mais il n’est qu’un élément mineur du métrage, et sans doute pas le plus réussi (la séquence des matelas dans l’eau s’éloignant n’est pas très loin du ridicule).
Tous les signes d’un polar
L’enquête aboutit au bout d’un peu plus d’une heure : le coupable est trouvé, le mobile aussi, ne reste que la tête du défunt à dénicher. Ce sera là encore, le sujet mollement traité de la seconde partie. Non pas que Zu Feng expédie véritablement l’aspect polar, mais il en traite les passages obligés (interrogatoires, recherche des suspects…) comme de simples signes ; à cet égard, il est significatif que l’arrestation du meurtrier soit hors-champ. En refusant de jouer tout à fait le jeu, le cinéaste œuvre aussi à dépasser les cadres du genre pour porter son film vers des chemins moins fréquentés ; de là une mise en scène esthétisante aux cadrages parfois tarabiscotés, aux fréquents plans fixes et qui mise sur les moments faibles plutôt que sur l’action. C’est que Zu Feng s’attache surtout à brosser le portrait d’êtres cabossés qui posent crûment la question essentielle : « à quoi bon ? » . Faut-il, ainsi que le fait Bin, « vivre comme une machine », ou renoncer tout simplement, à l’instar de Li Xue ? Quand la vie n’est plus supportable, comment la poursuivre ? Un été à Changsha, sans vraiment trancher (et heureusement), explore différentes possibilités (le mariage sans amour, le suicide, la réitération d’automatismes) et étend la réflexion aux personnages secondaires qui endossent un rôle presque théorique. Cela ne va pas sans maladresses, et en particulier la succession de fausses fins épuise la bonne volonté du spectateur. De même, le choix de ralentir le rythme jusqu’à frôler l’apathie, s’il contribue à créer une ambiance dépressive, court le risque d’ennuyer, que ce soit dans les discussions profondes (et pas toujours bien menées), ou dans les séquences muettes, qui visent sans toujours l’atteindre le vide réflexif.
Un été à Changsha : voyage en Chine profonde
En filigrane, Zu Feng dessine aussi le portrait pas très joyeux d’une Chine ignorée, celle des petites gens et des exclus. Plutôt que de filmer la campagne verdoyante ou la ville surpeuplée, il va chercher les entrepôts abandonnés, les commerces peu gratifiants ou les ferrailleurs. Son milieu, c’est davantage celui des ordures et des incinérateurs que celui du luxe. Et même quand il s’attarde sur l’hôpital moderne, c’est pour en souligner les files d’attente et les patients énervés. Autant dire que, sans faire de la critique sociale explicite, il distille une petite musique irritante et irritée. Ce n’est pas le moindre charme de ce métrage bancal et légèrement complaisant mais qui sait jouer avec des codes pour mieux interroger le spectateur qui voudra bien suivre un réalisateur ambitieux.
Sorties de la semaine du 4 décembre 2019
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Une édition digipack slim d’un film rare, à la carrière salle très courte, sorti en salle en décembre 2019 dans 3 salles.
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Pas même une bande-annonce …
L’image : 4 / 5
La copie présente une définition conforme aux standards actuels et retranscrit bien la lumière triste de ce film aux couleurs atténuées. Tout au plus peut-on noter que les noirs manquent parfois de profondeur.
Le son : 4,5 / 5
La seule piste disponible (Mandarin sous-titrée Dolby Digital 2.0) met en valeur les voix de manière très dynamique. La musique y est rare, mais suffisamment fine et précise.