Film contemplatif au charme certain, Sous le ciel de Koutaïssi révèle le talent d’un jeune cinéaste qui ose prendre son temps pour développer une atmosphère poétique. Séduisant et d’une belle pertinence sur le plan thématique.
Synopsis : C’est le coup de foudre quand Lisa et Giorgi se rencontrent par hasard dans les rues de Koutaïssi. L’amour les frappe si soudainement, qu’ils en oublient même de se demander leur prénom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident de se retrouver le lendemain. Ils sont loin de se douter que le mauvais œil leur a jeté un sort.
Un drame romantique au postulat intrigant
Critique : Réalisateur d’origine géorgienne, Alexandre Koberidze a étudié la réalisation en Allemagne où il a gardé de nombreux liens lui permettant d’assurer le cofinancement de ses films. Il a pu ainsi signer un premier long-métrage en 2017 (Lass den Sommer nie wieder kommen, resté inédit chez nous), avant d’écrire et réaliser Sous le ciel de Koutaïssi (2021).
L’histoire pour le moins originale prend place dans la troisième ville la plus importante de Géorgie et met en scène deux jeunes gens qui s’aiment au premier regard échangé, mais une terrible malédiction s’abat sur eux : en se réveillant un matin, ils ont tous les deux changé physiquement. Cela se traduit à l’écran par un changement de comédiens et l’arrivée des deux acteurs qui seront au centre de l’intégralité du film, à savoir la novice Ani Karseladze et le comédien de théâtre plus chevronné Giorgi Bochorishvili. Désormais incapables de se reconnaître, les deux amoureux sont voués à se croiser sans cesse sans jamais s’aborder. A moins que le hasard fasse bien les choses.
Avant tout le portrait attentif d’une ville et de ses habitants
Si le pitch de départ peut orienter le spectateur vers une forme de comédie romantique, la forme et la durée de Sous le ciel de Koutaïssi doivent immédiatement alerter le grand public : nous sommes ici face à une œuvre artistique qui entend développer une vision particulière du monde et qui fait peu de cas de l’efficacité narrative du cinéma traditionnel. En réalité, Koberidze use d’un prétexte pour peindre le portrait d’une ville et de ses multiples habitants. Le long des deux heures et demie du film, le cinéaste n’hésite pas à abandonner toute progression narrative pour laisser sa caméra errer. Il est ainsi capable de filmer au ralenti un match de football entre gamins durant plusieurs minutes, ou de s’arrêter contempler un arbre dans ses moindres détails.
Happant le spectateur par l’originalité de son conte moderne, Koberidze fait le pari d’un art contemplatif où la caméra serait comme le miroir de la vraie vie des gens. Ainsi, il laisse parfois sa caméra fixée sur un coin de rue, captant le passage des quidams et des chiens du coin. L’ensemble n’est pourtant jamais ennuyeux, car le cinéaste a eu la riche idée de demander à son frère Giorgi Koberidze de composer une bande originale très variée et souvent inspirée. En fonction des situations, la musique peut être tour à tour joyeuse, enlevée, mélancolique ou carrément lyrique sur la fin. Elle apporte en tout cas une indéniable plus-value à la projection et permet de sublimer certains instants en suspension.
L’art comme révélateur de notre monde
Malgré des errances en matière de narration, Alexandre Koberidze retombe même parfaitement sur ses pieds avec un final qui est hautement symbolique de sa démarche. Le dénouement passe ainsi par une révélation qui intervient à l’aide du cinématographe. Une manière de signifier que l’art n’est pas là pour imiter la vie, mais bien pour la transfigurer et finalement la révéler aux êtres humains. Dès lors, ses nombreux plans sur des anonymes, des chiens errants, des oiseaux ou des arbres prennent tout leur sens dans une œuvre globale qui entend célébrer la beauté du monde et de l’existence.
Le tout est réalisé avec talent puisque les plans fixes sont savamment composés et que les rares mouvements ne sont jamais superflus. La photographie permet enfin de rendre superbe la ville de Koutaïssi qui est bien le troisième personnage à part entière de ce long-métrage contemplatif. On pense assez souvent aux œuvres de Wim Wenders des années 70 durant la projection, la couleur en plus.
Une bête de festival passée inaperçue en salles
Présenté au Festival de Berlin en 2021 et ayant obtenu le Prix FIPRESCI, Sous le ciel de Koutaïssi est une vraie bête de festival, cumulant une dizaine de prix dans le monde. En France, le film a été acheté par le distributeur indépendant Damned Distribution, aux choix toujours exigeants. Le métrage est sorti dans un contexte difficile pour l’art et essai à la suite de la crise de la Covid-19, ce qui l’a condamné à l’anonymat en salles, malgré des critiques élogieuses. Sa sortie vidéo est l’occasion de découvrir enfin cette belle nouveauté venue de Géorgie.
Critique de Virgile Dumez
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