So Long My Son est un puissant mélodrame, fresque intimiste plus que lyrique, meilleur film d’un réalisateur chinois encore trop méconnu.
Synopsis : Au début des années 1980, Liyun et Yaojun forment un couple heureux.
Tandis que le régime vient de mettre en place la politique de l’enfant unique, un évènement tragique va bouleverser leur vie.
Pendant quarante ans, alors qu’ils tentent de se reconstruire, leur destin va s’entrelacer avec celui de la Chine contemporaine.
La carte du mélodrame au sein d’une analyse historique avec recherche d’un style authentique
Critique : Pionnier du cinéma indépendant chinois, Wang Xiaoshuai avait été révélé par le néoréaliste Beijing Bicycle (2001), avant de réaliser d’autres films dont les plus célèbres restent Shanghai Dreams (2005) et Une famille chinoise (2007) : dans ces deux œuvres, il jouait la carte du mélodrame tout en ancrant ses récits dans les années 70 et 80, des décennies souvent occultées dans la mémoire collective chinoise, et qui forment une période de transition entre les tourments de la Révolution culturelle et les affres du socialisme de marché.
D’une durée trois heures, So Long My Son en est la continuité thématique, et il s’agit dans doute de la meilleure œuvre d’un auteur encore trop méconnu, moins « culte » que Jia Zhangke et moins radical qu’un Bi Gan, mais qui réussit à concilier traitement d’un genre populaire (la chronique familiale), analyse historique et recherche d’un style authentique. Pour ce qui est de la charge émotionnelle (toujours suggestive, jamais lyrique), le cinéaste est subtil quand il évoque les conséquences de la politique de l’enfant unique, menée par le gouvernement chinois au nom de principes démographiques et économiques.
So Long My Son suscite la participation du spectateur en brisant la linéarité narrative
Si la majorité de la population chinoise s’est soumise sans sourciller à ce dogme, son application a provoqué des drames au sein de certains habitants : les déboires de Liyun et Yaojun sont d’autant plus touchants que cette société chinoise niait toute velléité individualiste au nom de l’intérêt général de la nation. Mais ce qui n’aurait pu être qu’un tire-larmes académique et démonstratif se présente comme un métrage subtil, le réalisateur n’hésitant pas à brouiller les pistes et susciter la participation du spectateur en brisant la linéarité narrative, ayant recours à des flash-back et ellipses. Wang Xiaoshuai a ainsi déclaré dans le dossier de presse :
« En effet, j’ai voulu (…) ce genre de suspens (qui) permet au spectateur de passer par des interrogations. Par ailleurs, je ne voulais pas tout dévoiler tout de suite car mon intention était aussi de montrer au spectateur ce que vit cette famille au quotidien sur le temps long, et comment certains évènements importants influent sur leur existence et leur comportement. Je voulais que le public ressente d’abord le quotidien avant de lui révéler tous les grands virages de l’intrigue. C’est comme quand on revoit un ami après un temps long : on le voit d’abord tel qu’il était, puis quand on apprend ce qu’il a vécu entretemps, on le voit ensuite tel qu’il est au présent. »
Une fresque familiale aboutie, émouvante et superbement interprétée
Cela pourra désarçonner certains pendant la première heure mais le puzzle qui s’assemble progressivement sur l’écran récompensera le spectateur qui sera conquis autant par la subtilité du montage et la grâce de la mise en scène que par l’humanité du regard que pose le réalisateur sur ses personnages.
So Long My Son se présente donc comme la fresque familiale chinoise la plus aboutie et émouvante depuis Au-delà des montagnes de Jia Zhangke. Les deux acteurs principaux (Wang Jing-chun et Yong Mei) ne sont pas pour rien dans la fascination exercée par ce métrage à la fois classique et ambitieux : ils n’ont pas démérité le prix d’interprétation qu’ils ont obtenu au Festival de Berlin 2019.
Critique : Gérard Crespo
Les sorties de la semaine du 3 juillet 2019
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