Sleeping Beauty est une œuvre qui retourne et tourneboule ! Clinique, intrigante, dérangeante.
Synopsis : Ce que les hommes lui font la nuit, Elle l’a oublié au réveil.
Une jeune étudiante qui a besoin d’argent multiplie les petits boulots.
Suite à une petite annonce, elle intègre un étrange réseau de beautés endormies.
Elle s’endort. Elle se réveille. Et c’est comme si rien ne s’était passé…
Critique : Quelque part entre le cinéma féminin de Jane Campion, ici productrice. Celui clinique de Michael Haneke. Pas très loin des émotions perturbantes de We need to talk about Kevin. Vraiment proche des thématiques refoulées de Belle de Jour de Luis Buñuel, vient se nicher l’une des œuvres les plus sulfureuses de la 64e édition du festival de Cannes, Sleeping beauty.
Ce premier film, qui resta longtemps à l’état d’un scénario prometteur redouté par les producteurs hollywoodiens, est l’essence même d’un trouble cinématographique, celui qui ose provoquer sens et esprit, en les confrontant aux réalités universelles qui dérangent.
Malgré un thème fort – une jeune femme sublime offre son corps à une organisation de prostitution de luxe qui la livre à l’inconnu pendant son sommeil -, Sleeping beauty est moins un thriller sur le proxénétisme qu’une introspection des peurs les plus profondes de l’Homme, celles de la décomposition corporelle, de la gangrène, du rejet par l’autre et l’abandon qu’occasionne l’austère vieillesse.
La beauté qui s’affiche ici avec insolence à travers la moue boudeuse d’Emily Browning, est non seulement le fantasme parfait d’une jeunesse sexuée, c’est aussi l’incarnation d’une santé fleurissante, une forme épanouie qui ne craint ni la maladie ni le délabrement, forcément lointain. Maîtresse du regard des autres qu’elle assujettit, a priori peu concernée par les contingences terrestres, la jeune fille volage, qui passe d’un petit job ou d’un amant à l’autre, également d’une drogue à l’autre… se rapproche pourtant peu à peu d’une grande inconnue sur laquelle elle devra ouvrir les yeux dans un dernier moment de sursaut horrifique.
La jeunesse de Lucy, qui est jetée en pâture aux (in ?)fortunés pervers, se réveille immaculée, malgré tous les mystérieux rites nocturnes que son corps subit… L’inéluctable courant nocturne qui l’entraîne vers les enjeux morbides de la vie lui dictera le fin mot d’une histoire qui, contrairement à ce que laisse suggérer le titre, n’est pas un conte de fées. La mort est bien à son chevet et, nous, on en ressort le sang glacé.
En 2024, le procès des viols de Mazan, drame d’une épouse livrée à des violeurs, pendant son sommeil, par son mari pendant de nombreuses années, est malheureusement une tragique illustration par le vrai d’un récit de cinéma. La victime droguée et outragée a un nom, Giselle Pelicot.
Choc viscéral qui laisse un grand froid dans la salle, Sleeping beauty est aussi le film de la polémique, malgré une sortie largement en amont du mouvement #MeToo et de la déferlante féministe sur la culture du viol dont appartenance à laquelle Sleeping Beauty pourrait bien avoir à se défendre. Son distributeur a remis en question l’interdiction aux moins de 16 ans dont le CNC l’a affublée. Coup de gueule ou coup de pub ?
Une jeune femme se prostitue pour payer son loyer, entre deux petits boulots et quelques rencontres sexuelles en boîte pas piquées des hannetons, avec des hommes plus âgés et beaucoup de coke dans le nez. Dans ses nuits de prostitution, endormie, elle offre son corps à une obscure société secrète qui abuse de sa fraîcheur. Qui sait ce qui se passe durant ces moments obscurs où sa conscience s’est assoupie ? Elle, non. Le spectateur, oui. Lui est convié à savoir tout ou presque tout de ces moments opaques, troubles, a priori cauchemardesques qui relèvent de la paralysie du sommeil.
Sleeping beauty, simple film érotique ou drame sordide dans un décor et une ambiance clinique ?
La commission de classification lui a collé une belle interdiction aux moins de 16 ans aux fesses pour “Incitation à la prostitution, climat malsain et pervers”.
L’incitation à la prostitution n’est pas l’intention première de la cinéaste, il est vrai. Mais, dans une dynamique concrète et dramatique de la prostitution des mineurs, l’affaire Sleeping Beauty, vue par un jeune de 13 ans en manque de vêtements de marque, pourrait être conclue pour moins que ça (on se souvient de la scène hilarante du portable dans Polisse, classique français contemporain à Sleeping Beauty).
Quant au climat malsain et pervers, aucun des jeux joués dans ce film nous paraissent bien sains ou relevant d’une sexualité respectueuse de l’autre. Le souffle de la subversion est au contraire bien présent, dans une volonté de déranger (les scènes médicales) et de titiller la face obscure de l’humain adulte et consentant.
Le distributeur, ARP, a crié au scandale et à la censure, en raison d’un classement qui ne coupe aucune minute du film, mais qui protège seulement une audience en pleine construction de son image ou de son identité sexuelle. La jeunesse ainsi est préservée de choses dont le sous-texte n’est naturellement pas évocateur pour des spectateurs autres que ceux qui n’ont pas un minimum de vécu (comment vont-ils interpréter le discours sur l’âge et la solitude que fait retentir la glaçante scène finale ?).
Plus qu’un coup de gueule, l’affaire de la classification de Sleeping Beauty traitée par son distributeur relève donc d’un vrai coup de pub, le genre de déclaration propice au buzz et à générer du trafic sur la toile et pourquoi pas des visites dans les salles. Bref, un micro évènement médiatique qu’aujourd’hui internet rend instantanément possible.
On n’en voudra pas à ARP. A chaque adulte, effectivement, de voir ou pas, les yeux grands ouverts.
Box-office de Sleeping Beauty
Véritable échec commercial, Sleeping Beauty n’a pas réussi à convaincre sur son pitch sordide. Malgré sa présence en compétition cannoise et des critiques souvent positives, le film polémique a été un pétard mouillé dans les salles. Et pour cause, les programmateurs s’en méfient et seulement 19 exploitants sur l’ensemble de la France s’y risquent.
La première semaine est bonne, avec 14 983 spectateurs et une moyenne de 789. L’essentiel (10 608) provient en fait des 6 cinémas parisiens.
Toutefois, le bouche-à-oreille lui sera fatal. Beaucoup de spectateurs détestent le style statique et les idées jugées nauséabondes. Compréhensible : ce type d’objet de festival sulfureux ne pouvait qu’irriter.
En deuxième semaine, Sleeping Beauty perd 49% de sa fréquentation sur une combinaison identique, puis 65% en semaine 3, 53%, 57%… Sa chute est instoppable.
In fine, Sleeping Beauty ne double pas sa mise de départ (27 236 entrées au total). Au moins, le film scandale est paru sur nos écrans. Inédit sur la plupart des territoires, il n’ira pas au-delà des 4 écrans aux USA (36 578$, une misère). En fait, la France l’a comblé de sa sortie la plus large et de ses recettes les plus élevées dans le monde (100 000$ en France pour un total international de 408 000$).
Le test Blu-ray
OFNI réfrigérant qui prit le festival de Cannes 2011 à rebrousse-poil, Sleeping beauty a connu une carrière houleuse. Il a bien été porté par des critiques largement favorables, mais son interdiction aux moins de 16 ans, mettant en avant toutes les perversions subies par l’héroïne, a éconduit le public… Cette production australienne est une variation très lointaine de La Belle aux bois dormant, dans laquelle une étudiante vend son corps inerte à des messieurs qui abusent d’elle durant son sommeil profond… Dans les tréfonds de l’âme humaine, quelque-part où viennent se nicher fantasme et cauchemar, la réalisatrice Julia Leigh nous situe sur des rivages sinueux morbides que l’anti-héroïne arpente avec inconscience, dans des rituels bourgeois qui la conduisent loin…notamment à une conclusion terrifiante qui glace les sangs. L’édition HD est de toute beauté.
Compléments : 1 / 5
L’étrange bande-annonce et un montage d’interviews de l’équipe du film (13mn) constituent les maigres bonus de cette oeuvre insaisissable qu’on aurait aimé approfondir !
L’image : 4.5 / 5
A l’image de la luxueuse et rigoureuse mise en scène, l’image est froide, clinique et distille des vapeurs de mort dans sa beauté sépulcrale. Un très léger grain de cinéma vient l’égayer. Tout en profondeur, avec une appréhension dense de la texture, elle nous conquiert totalement.
Le son : 3.5 / 5
C’est en DTS HD Master audio que le film nous est proposé. Sans esbroufe, mais avec une intensité dans les dialogues qui créent la vraie dynamique. Les arrières sont peu sollicités, mais cela ne dessert pas pour autant l’atmosphère trouble qui reste prégnante.
Biographies+
Julia Leigh, Emily Browning, Michael Dorman, Mirrah Foulkes, Chris Haywood