Sister joue constamment sur une mise en scène maîtrisée, trop maîtrisée, qui tend à la glaciation. Mais l’actrice principale, frondeuse et indéchiffrable, entraîne le film vers des chemins moins balisés qui lui donnent un indéniable supplément d’âme.
Synopsis : Rayna est une jeune fille au tempérament explosif et au visage d’ange. Avec sa mère et sa sœur, elles tentent de survivre en fabriquant des figurines qu’elles vendent aux touristes sur le bord de la route de leur village bulgare. Pour échapper à l’ennui de son existence, Rayna invente souvent des histoires. Mais ce jeu au début amusant finit par menacer le fragile équilibre de sa famille.
Critique : Il y a quelques années, Les Cahiers du Cinéma avaient examiné les « 10 tares du cinéma d’auteur » (n° 684, décembre 2012). On peut, à la vision de Sister, penser avec une pointe de mauvaise foi qu’il coche à peu près toutes les cases, du « sérieux » au « pitch » en passant par le « culte de la maîtrise » : sérieux, le film l’est à l’excès, au risque d’un ennui qui affleure parfois. Car à montrer la vie quotidienne de la mère et des deux filles dans leur banalité, en des séquences muettes fondées sur des gestes précis et répétitifs (Ah ! Ce camion, ces échanges d’argent, cette manipulation des outils…), la réalisatrice, dont c’est le deuxième métrage, frôle le réalisme le plus plat, même si l’on comprend qu’il s’agit de montrer l’aliénation de ces trois femmes. Quant au pitch, il tient sur un ticket de métro si l’on s’en tient à l’essentiel : une jeune fille qui ment tout le temps mesure la portée de ses mensonges et apprend à dire la vérité. Enfin, pour ne prendre que ces exemples, la maîtrise technique s’affiche en permanence, entre cadrages soignés, travellings rares et d’autant plus démonstratifs, goût du sur-cadrage et recherche de points de vue originaux. Ainsi voit-on se multiplier les obstacles visuels, les séquences en plans longs vues de loin. On pourrait continuer la liste et montrer que Sister s’inscrit dans un cadre « auteurisant » qui laisse peu de liberté aux personnages comme aux spectateurs, les asphyxiant encore par un scénario refermé sur lui-même et une utilisation parcimonieuse de la musique.
Mais, fort heureusement, et même si des tics peuvent agacer, le film échappe par moments à son programme et crée de petits espaces quasiment autonomes, voir la belle séquence dans laquelle Rayna cogne à toutes les portes de l’hôpital pour trouver un soignant, ou le personnage touchant du médecin seul, ivre et généreux qui chante longuement en s’accompagnant de sa guitare. Pour être brèves, ces trouées n’en agissent pas moins comme des respirations bienvenues qui ouvrent le métrage en le faisant décoller de son trajet millimétré.
Surtout, Sister tient par son héroïne, impeccablement incarnée par Svetlana Yancheva, visage opaque, têtue (voir la manière dont elle poursuit le compagnon de sa sœur jusqu’à obtenir satisfaction), peu aimable, prête à inventer perpétuellement pour justifier n’importe quoi (un éternuement devient un traumatisme infantile) ou simplement pour échapper à un quotidien trop morne. Ces mensonges, qu’elle déclame face caméra dès le début, donnent de la saveur à sa vie, même si ce n’est jamais expliqué, et, peu à peu, enclenchent la fiction : qu’elle prétende être la maîtresse de Miro, l’amant de sa sœur, et les conséquences pleuvent. De cette idée, certes pas très neuve, la cinéaste tire le meilleur en la transformant en mouvement incessant. Rayna passe ainsi de la spectatrice au verbe mensonger à celle qui décide, agit et évolue : si elle invente une histoire à l’hôpital, c’est pour sauver Miro, ce qui la conduira tout naturellement à la vérité. On peut certes trouver l’évolution simpliste et la morale rapide mais Yancheva instaure une distance qui empêche le film de sombrer dans la mièvrerie, et parvient même, dans le plan final, à inventer un dénouement purement visuel et très éloquent.
On ne dira pas que Sister s’impose par son originalité ; on avoue même notre agacement devant certains partis-pris maniérés. Néanmoins, ce petit film minimaliste séduit au fond par quelques trouvailles et par son interprète lumineuse. Ce n’est pas assez pour en faire une œuvre marquante, mais suffisant pour qu’on en tire un certain plaisir à défaut d’enthousiasme.