Avec Sicalipsis, Cosmo Liveti délivre un art sans compromis, ni compromission, qui rend un hommage inattendu aux grands poètes du cinéma bis des années 70. Qui a dit pornographie ?
Le film : Cosmo Liveti, réalisateur, producteur, se lâche totalement sur Sicalipsis. Au diable les canons ronflants d’un cinéma pornographique codé, son nouveau long est une parenthèse unique dans le genre classé X et contredira sûrement les attentes limitées que le public masculin pourra avoir quant à ce type de productions kleenex. Sicalipsis est avant tout une production Union qui fera sa première sur Canal+. On notera dans les deux camps un choix résolument téméraire, puisqu’il s’agit ici de produire et de diffuser un OVNI en lieu et place de la production adulte traditionnelle que la chaine cryptée essaie toujours de rendre plus originale.
Hommage au cinéma érotico-fantastique des années 70
Cosmo Liveti est un grand amateur de cinéma fantastique et érotique européen, celui des années 70 ; il délivre donc une audacieuse danse macabre, totalement hypnotique, aux allures de conte transgressif post-68. Ses maîtres ? Jess Franco (Une vierge chez les morts-vivants), Alain Robbe-
Sicalipsis relate donc les derniers jours d’un homme riche, mais dangereux, présenté avec une arme. Un plan aérien ouvre le film, la caméra survole la côte pour se focaliser peu à peu sur des terres accidentées, écrasées par un soleil de plomb ; elle se fixe sur un domaine luxueux pour s’approcher du visage d’un homme sûr de lui. Un portrait digne d’un polar tortueux et mafieux. La tentation du croisement des genres. Liveti choisira le fantastique.
Une danse macabre à la fois solaire et sombre
L’homme jeune, qui se présente à la caméra en voix off, a tout pour être jalousé, il le dit lui-même, et pourtant il se lève avec le sentiment de vivre ses dernières 48 heures. Le récit puissamment cinématographique qui suit, est donc la chronique d’une mort annoncée. Le protagoniste détaché, l’acteur Dorian Del Isla, sosie musclé de Nicolas Duvauchelle, avec un jeu similaire, va vivre la fin de son existence comme un trip aux portes d’un au-delà sinistre. Il rencontre la Mort, des anges méphistophéliques dignes de Rollin et Brisseau… Inéluctablement, son chemin suit un rituel quasi sacrificiel où l’orgie organisée chez la baronne locale (Ania Kinski, dans la truculence de la folie et l’ivresse du pouvoir), ne se savoure guère comme une chose excitante. Les chorégraphies sexuelles sont mortifères comme dans Eyes Wide Shut de Kubrick, sans le budget du film génial avec Tom Cruise et Nicole Kidman. Au petit matin, les anges déchus se retrouvent sur une plage accidentée tout comme dans les œuvres si singulières de Rollin. Un être y a-t-il été sacrifié ? Sûrement. La musique s’accélère et la descente dans les enfers d’un night-club relève du cauchemar où la bête fourchue guette, se tapie…
Et la pornographie dans tout cela ?
Liveti réinvente le concept pornographique, utilisant la chair sans qu’elle ne soit un but en soit ; il forge son œuvre dans l’omniprésence d’un travail artistique de premier plan. Réalisation, photographie… Les images impressionnent pour ce type de production ; elles sont elles-mêmes écrasées par l’omniprésence de la musique (trois compositeurs, trois ambiances).
Le cinéaste ne filme jamais le sexe dégradant, mais il est tenté par l’idée de la décadence. Il filme les corps de façon mortifère, et l’acte ultime dans l’envolée paroxysmique. La musique évoque dans sa graduation d’intensité les scores des Danny Boyle des années 2000 (28 jours plus tard), avant que le narrateur finisse par accomplir le plongeon final lors d’une scène surréaliste où Les mots bleus de Christophe se mue en un air tribal et maléfique, celui d’une fin de vie.
Sicalipsis, l’art sans compromis ni compromission
Avec Sicalipsis, Cosmo Liveti parvient à faire revivre le cinéma de genre des années 70 sans pour autant effacer son appartenance à une époque résolument moderne. Ce mélange des ambiances est une forme rare d’ambition dans un secteur si peu engagé dans les codes cinématographiques. On sera curieux de la réception des (télé)spectateurs face à de telles promesses. Liveti mérite de poursuivre sur cette belle voie, celle d’un art sans compromission.
Un film de Cosmo Liveti, avec Dorian Del Isla, Anissa Kate, Cassie Del Isla, Alyssa Reece, Mya Lorenn, Ania Kinski, Francesco Malcom, Asia Witchcock, Michael Cheritto, Eddy Blackbone, Pierre B. Reinhard
Diffusion sur Canal+, à partir du samedi 5 septembre 2020