Modèle d’épure cinématographique, le Procès de Jeanne d’Arc est une œuvre majeure de Bresson, tout en étant le plus beau film sur la sainte. Indispensable.
Synopsis : Après maintes victoires chevaleresques, Jeanne est capturée par le camp adverse puis vendue aux Anglais. Elle est gardée prisonnière au château de Rouen avant de comparaître pour sorcellerie. Du début des audiences au supplice final, le film suit au plus près les minutes authentiques du procès.
Critique : Au cours des années, le réalisateur Robert Bresson a perfectionné sa technique cinématographique, s’orientant vers un style de plus en plus épuré. Déjà largement expérimenté avec Pickpocket (1959) qui ne durait qu’une heure et quinze minutes, son style se veut de plus en plus tranchant, élaguant au maximum, retirant toute explication superflue pour atteindre une forme de quintessence cinématographique.
Cette volonté artistique extrême trouve une forme d’accomplissement dans ce Procès de Jeanne d’Arc (1962) où le réalisateur cherche à saisir l’insaisissable, à savoir le mystère de la foi d’une jeune femme touchée par la grâce. Pour éviter de se laisser distraire par des éléments qui ne seraient pas purement historiques, le cinéaste s’est concentré sur les minutes du procès qu’il a réduit à leur substantifique moelle afin de faire ressortir l’opposition de Jeanne face à ses bourreaux. Sans chercher à retravailler la langue d’époque, Bresson nous livre donc de manière brute cet affrontement verbal entre une jeune femme obstinée et des représentants de l’Eglise.
Dès lors, le film se présente avant tout comme une œuvre sonore où l’image apparaît finalement comme secondaire. Le réalisateur ne cherche aucunement à faire joli, à varier ses cadres ou ses angles de prises de vue, puisque cela pourrait divertir le spectateur de l’essentiel : le dialogue. Film littéraire avant tout, Procès de Jeanne d’Arc est également marqué par une diction particulière de la part des modèles d’un cinéaste qui détestait les acteurs. Ici, il a fait appel à des amateurs afin d’annihiler toute forme d’intonation dans la voix et de préserver le mot de toute intention parasite. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette méthode qui devrait anesthésier toute forme d’émotion rend le spectacle encore plus tranchant, et finalement impressionnant lors des dernières séquences.
Persuadé que l’épure est le meilleur moyen de traiter son sujet, Bresson parvient à signer le film le plus intéressant sur ce personnage majeur de l’histoire de France. Sans exposer le contexte politique de l’époque, il arrive à nous faire prendre conscience de la manipulation politique opérée par les Anglais afin de se débarrasser de cette sainte décidément encombrante. Les affrontements verbaux entre Jeanne et l’évêque Cauchon démontrent l’extraordinaire malice de la jeune femme, ainsi que la duplicité de l’homme d’Eglise qui cherche à tout prix à la mettre en difficulté, afin de justifier le jugement final, décidé bien avant le début du procès.
Magnifique dans un rôle qui l’a marqué à jamais, Florence Delay est une Jeanne d’Arc décidée, pleine de fougue et respirant la foi, mais qui peut également être hésitante à l’approche de la mort. La dernière séquence au bûcher est symptomatique du style Bresson avec une foule dont il ne filme que les pieds, tandis qu’un chien s’avance seul vers la sainte, telle une apparition divine. Cette touche de poésie soudaine bouleverse le spectateur alors que les premières flammes s’élèvent au-dessus du bûcher.
En tout juste une heure tendue comme un garrot, Robert Bresson offre la preuve flagrante qu’il est tout bonnement l’un des plus grands réalisateurs français de l’époque, loin des modes, des canons du cinéma commercial et même des gesticulations de certains cinéastes de la nouvelle vague.
Compléments : 4/5
Une œuvre aussi complexe méritait bien des suppléments d’envergure. On commence tout d’abord par un document d’époque exceptionnel, à savoir un entretien de 5min avec Robert Bresson qui explique sa démarche à un journaliste très heureux de l’avoir convaincu de venir sur un plateau de télévision.
Puis, l’éditeur nous propose des bonus récents dont un entretien de 30min avec Florence Delay qui se remémore son expérience en tant que Jeanne d’Arc avec beaucoup d’émotion dans la voix. Elle nous raconte comment elle a été sélectionnée, puis elle évoque des anecdotes de tournage et notamment l’absence de directives claires d’un Bresson qui refaisait les prises jusqu’à épuisement afin d’annuler tous les tics de ceux qu’il appelait ses modèles – et non ses acteurs. Elle insiste également sur son retour à la foi. Passionnant donc.
Il faut bien 34min à Hervé Dumont, historien du cinéma d’origine suisse, pour retracer l’histoire réelle de Jeanne d’Arc puis ses différentes occurrences cinématographiques. Très informatif et là encore enthousiasmant. L’entretien avec Olivier Assayas (17min) est légèrement plus décevant en comparaison. Enfin, un petit module de 2min nous indique le travail de restauration fourni en comparant les images avant/après.
L’image : 4/5
La restauration 4K a permis d’enlever tous les points blancs, ainsi que les brûlures et autres déchirures, tout en assurant à la copie une parfaite stabilité. En ce sens, le travail est remarquable. Toutefois, il est important de signaler que l’image demeure un peu plate, ce qui correspond aux volontés esthétiques de Bresson qui a cherché à développer des nuances de gris tout en limitant le contraste. N’oublions pas que le métrage devait avant tout être une œuvre sonore plus que visuelle.
Le son : 4/5
La volonté d’épure se retrouve dans cette piste son mono en DTS HD Master Audio qui privilégie la clarté des voix et des dialogues. De toute façon, il y a peu d’environnement sonore parasite et fort peu de musique. L’ensemble est donc convaincant et respectueux des volontés du réalisateur.
Critique du film et test du blu-ray : Virgile Dumez