Loin d’être une comédie, Plumes est une œuvre au pitch absurde, mais aux développements sordides et à l’ambiance oppressante. Sa lenteur et son atmosphère en font un film à réserver à un public exigeant.
Synopsis : Une mère passive, dévouée corps et âme à son mari et ses enfants. Un simple tour de magie tourne mal pendant l’anniversaire de son fils de quatre ans, et c’est une avalanche de catastrophes absurdes et improbables qui s’abat sur la famille. Le magicien transforme son mari, un père autoritaire, en poule. La mère n’a d’autre choix que de sortir de sa réserve et assumer le rôle de cheffe de famille.
Plumes part d’une situation absurde et amusante…
Critique : Alors que son court-métrage The Aftermath of the Inauguration of the Public Toilet at Kilometer 375 (2014) a été sélectionné avec succès à la Cinéfondation du Festival de Cannes, le réalisateur égyptien Omar El Zohairy a pu participer à un atelier d’écriture qui lui a donné le point de départ de son premier long-métrage intitulé Plumes, finalement tourné en 2021. Afin de montrer l’évolution progressive d’une femme du peuple qui va peu à peu s’affirmer vis-à-vis du reste de la société, le cinéaste est parti d’un pitch plutôt original et comique.
Ainsi, lors d’une fête d’anniversaire pour lequel il a convié un magicien de bas étage, un père de famille autoritaire se voit transformé en poulet çà la suite d’un numéro raté. Cette scène provoque d’autant plus le rire que les séquences précédentes décrivaient surtout le morne quotidien d’une femme au foyer devant élever ses trois enfants sous le contrôle de son mari ouvrier. Malgré l’absurdité de ce point de départ, Plumes ne sera jamais une comédie, contrairement à ce que l’affiche joyeuse laissait supposer. Derrière cette volonté de présenter le long-métrage comme une œuvre enlevée, héritière de Jacques Tati et d’Otar Iosseliani, se cache en réalité un film très sombre et plombant, voire franchement dérangeant par moments.
… pour déboucher sur une œuvre très sombre et sordide
Si l’on apprécie sa peinture sociale sans concession, faite d’une large part de cruauté, il est parfois difficile de soutenir certaines scènes d’humiliation de cette femme qui ne connaît pas d’autre alternative que de se laisser trainer dans la boue. De même, les amoureux des animaux auront sans doute bien du mal à supporter certains passages situés dans des abattoirs, ainsi que la visualisation de pauvres bêtes malades lors d’une scène chez le vétérinaire assez éprouvante.
On peut tout de même saluer le discours d’un réalisateur qui montre clairement que chaque personnage est enfermé dans le rôle qui lui est assigné par une société dont la pression est extrême. Ainsi, la mère est une femme qui ne sait pas faire autrement que de se résigner, rendant son personnage finalement assez pathétique. Toutefois, le père n’est pas montré comme un monstre puisque celui-ci s’occupe bien de ses enfants et semble également malheureux avec sa femme qu’il ne quittera pourtant pas par devoir.
Des plans superbement composés
Gangrénée par l’argent et une domination de classe, la société égyptienne (mais ce n’est pas la seule) est donc décrite comme particulièrement violente envers l’individu quel qu’il soit, ainsi qu’envers les animaux. Le cinéaste rend l’ensemble particulièrement éprouvant par l’emploi de longs plans fixes sur des personnages muets et accablés par le malheur. Le tout est filmé dans des décors crasseux et poussiéreux sur fond d’horizon bouché. On signalera le soin méticuleux apporté aux décors et à la photographie, faisant de chaque plan un tableau. Finalement, sa fin radicale fait de Plumes une œuvre fort peu aimable, mais clairement maîtrisée sur le plan purement formel.
Tourné avec des acteurs non-professionnels dont ce fut la première expérience devant une caméra, Plumes n’offre pas de grandes prestations, même si l’on aime le naturel des enfants. Les autres personnages sont avares de mots et arborent un masque de noirceur et d’indifférence comme autrefois certains « modèles » de Robert Bresson.
Cela renforce un peu plus l’aspect aride du film qui est donc clairement réservé aux amoureux d’un cinéma exigeant et lent, un public qui n’est pas rebuté par les histoires sordides. Au total, en France, ils ont été près de 12 600 curieux au printemps 2022 à découvrir ce Plumes, dont la moitié sur Paris.
Sophie Dulac Distribution est parvenu à dénicher 5 écrans parisiens lors de la sortie du 23 mars : les MK2 Beaubourg et Gambetta, mais aussi le Lincoln, l’Arlequin et le Majestic Bastille. Malheureusement, 90% des entrées y seront réalisés en deux semaines. Le marché post-covid est particulièrement rude pour le domaine de l’art et essai. Il est donc temps de se rattraper.
Critique de Virgile Dumez