Park est un drame de la jeunesse, cette fois-ci au visage grec, paumée dans les vestiges d’un espoir et assommée par le poids d’un naufrage social. Un regard juste et convaincant qui n’est pas sans évoquer, le trash en moins, le cinéma de Larry Clark.
Synopsis : Le village Olympique d’Athènes, dix ans après les Jeux. Des jeunes désœuvrés, des athlètes à la retraite blessés et des chiens sans maître errent entre les ruines et les arènes sportives à l’abandon.
Le monde d’après
Critique : La crise économique a frappé de plein fouet la Grèce, la conduisant au bord de la sortie de l’euro(pe). La banqueroute nationale a ainsi effacé des années de progrès et les effets positifs des Jeux Olympiques d’Athènes de 2004 qui lui offrait une perspective de croissance.
Il est intéressant de suivre le regard d’une jeune réalisatrice sur la première génération post-crise et le sentiment d’abandon qu’elle nourrit. C’est bien une jeunesse en déshérence qui nous est ici dépeinte avec une perspicacité quasi documentaire et la gourmandise de cinéma de Larry Clark. Métaphore de l’état du pays qui pourrait aussi servir d’illustration universelle d’un jeune âge abandonné à propre désarroi, Park évoque beaucoup de situations que l’on connaît, mais avec talent.
Sofia Exarchou filme avec sobriété des jeunes sur le fil du rasoir. Des corps en mouvements, des visages en souffrance ou en ébriété, des talents gaspillés ; elle met en scène le sacrifice de mômes qui n’ont pas encore les clés pour tout comprendre, arrivés au mauvais endroit au mauvais moment. Des destins brisés sans espoir de lendemains meilleurs.
Faisant des attractions athlétiques abandonnées leur territoire, la réalisatrice montre le résultat de l’austérité. L’inévitable déliquescence, la dépression d’adultes décrépits et l’abandon d’une jeunesse élevée sur un champ de ruines. Des mômes livrés à eux-mêmes, asociaux, hors des préoccupations des adultes, comme le suggère leur rare présence à l’écran, ou alors comme des étrangers, au sens propre et figuré, jusque dans leur famille.
L’investissement du regard témoin de Sofia Exarchou porte aussi beaucoup sur le comportement ethnologique des jeunes entre eux. En meute ou dans leur intimité, elle les filme avec précaution, sans aller dans le graveleux. On sent la violence poindre tout comme le rapport cru à la sexualité, inhérent à l’âge. Toutefois, contrairement à la radicalité et à la subversion volontaire de Larry Clark, Exarchou préfère davantage investir la psychologie en puisant dans les regards de ses deux protagonistes principaux.
Paranoid Park
Avec de jeunes talents criants de vérité, Park aborde les souffrances de jeunes qui hurlent leur besoin d’exister. L’héroïne, en exaltant maladroitement sa féminité et en se réduisant à un corps, affiche une insupportable solitude. Son regard aguicheur est surtout embué de tristesse, et il faut souligner la capacité de la jeune actrice à passer d’une émotion forte à une autre, sans pour autant tomber dans la caricature du portrait hystérique.
Quant au protagoniste masculin, de rage et de muscle, il affiche une masculinité d’âge qu’il n’arrive pas à contenir, lors de comportements gamins qui pourraient mal tourner. Face aux premiers grands choix pour éventuellement survivre dans une société qui a failli, il se renferme dans une immaturité consciente, mais impulsive, qui le confronte à ses propres limites. Celles de son avenir en forme de mur, celui invisible du no man’s land de misère dont il envisage de sortir par la fuite romantique ou la fugue, gaspillant les rares et chiches opportunités qui se présentent à lui.
Sans pour autant faire montre de pudeur, Sofia Exarchou filme la cruauté avec justesse. Elle sous-tend la complexité sans pour autant partir dans les méandres d’explications en multipliant les intrigues inutiles. Une solide direction d’acteurs et une vision de cinéma donnent à son premier long le cachet du bon cinéma indépendant. On en apprécie la forme et le fond. Son cinéma nous touche et nous émeut. Il nous parle d’autant plus qu’une crise approche et le film de 2016 nous paraît douloureusement d’actualité.