Ni d’Eve ni d’Adam : la critique du film (1997)

Drame social | 1h30min
Note de la rédaction :
6/10
6
Ni d'Eve, ni d'Adam

Note des spectateurs :

Premier long-métrage de Jean-Paul Civeyrac, Ni d’Eve ni d’Adam hésite sans doute encore trop entre un naturalisme social convenu et un mysticisme tout juste ébauché, mais il a révélé le talent d’un auteur exigeant à l’œuvre future passionnante.

Synopsis : A travers la fugue amoureuse de deux adolescents d’une cité de la banlieue de Saint-Etienne, constat sur l’impasse de la situation sociale en France.

Civeyrac explore une thématique sociale de manière naturaliste

Critique : Sorti de la Femis où il a réalisé son premier court-métrage intitulé La vie selon Luc (1991), Jean-Paul Civeyrac a rencontré au milieu des années 90 Philippe Martin qui allait devenir son producteur le plus fidèle. Ensemble, ils montent ce tout premier long-métrage du réalisateur, avec un tout petit budget et le soutien de Gérard Louvin.

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© 2006 Blaq Out. Tous droits réservés.

Ni d’Eve ni d’Adam (1996) se présente tout d’abord comme une œuvre naturaliste qui prendrait en quelque sorte la suite d’auteurs comme Maurice Pialat ou Jacques Doillon dans la description attentive de personnages socialement défavorisés. En rupture avec l’institution scolaire, mais aussi avec sa famille et la société en général, le jeune Gilles est un gamin en perdition. Sa vie n’est que conflit et désordre, ce qui l’amène à retourner cette violence sociale qui lui est faite contre les autres.

Une réalisation abrupte durant la première heure

Agressif, tel un enfant sauvage que n’aurait pas renié François Truffaut, Gilles est un adolescent en opposition complète avec son environnement d’une cité dans la banlieue de Saint-Etienne. Battu par son père, rejeté par sa famille, exclu de son lycée, il ne peut envisager sa survie que par de menus larcins. Seule lumière dans ce tunnel sans fin, sa camarade Gabrielle est tout son contraire. Posée et d’une douceur infinie, elle est la seule épaule sur laquelle peut se reposer Gilles.

Cette violence sociale, implacable, est traduite par Jean-Paul Civeyrac de manière brutale, sans prendre de gants avec le public. Malmené par un montage abrupt qui ne ménage guère de plages de repos, le spectateur doit supporter les incessantes agressions verbales et physiques du gamin, sans pouvoir vraiment agir face à cette lente descente aux enfers. L’effet d’accumulation peut également déranger tant il ne laisse aucune échappatoire possible à cet adolescent en furie.

La dernière partie du film s’oriente vers une forme de mysticisme

Toutefois, au bout d’une heure qui ne semble destinée qu’à confirmer l’exclusion des personnages, le cinéaste opère un virage stylistique inattendu en envoyant ses deux personnages dans un cadre rural qui tranche avec les horizons bouchés de la cité. Dès lors, le réalisateur se concentre sur l’amour naissant entre les deux ados, mais aussi sur une certaine forme de spiritualité qui prend le pas sur la violence – même si un meurtre est tout de même commis. Dès lors, le réalisateur semble se défaire du naturalisme développé jusque-là pour aller vers un cinéma plus mystique, comme autrefois un certain Robert Bresson (l’apparition étrange de l’âne est-elle une référence volontaire à Au hasard Balthazar ?) ou plus récemment Jean-Claude Brisseau.

Sublimée par les musiques religieuses de Bach, cette dernière demi-heure opère donc un revirement stylistique étonnant qui allait pourtant préparer le terrain des futures œuvres de Civeyrac comme le magnifique A travers la forêt (2005). Si le réalisateur ne se laisse pas encore aller au fantastique pur et dur, le spectateur sentira cette volonté d’élever le film et les personnages vers une forme de spiritualité touchante. Et le cinéaste de poser la question d’une éventuelle rédemption au cœur d’une nature divinisée.

Des maladresses, mais un ensemble touchant, à redécouvrir

Alors que Ni d’Eve ni d’Adam est un premier film assez maladroit, aussi bien dans sa réalisation assez crue que sa construction narrative, il s’appuie sur un magnifique duo de jeunes acteurs. Guillaume Verdier est une vraie révélation et le jeune comédien a d’ailleurs persévéré, apparaissant dans plus d’une cinquantaine de films depuis les années 2000. Sa complice Morgane Hainaux a été surtout revue chez Civeyrac et dans des courts-métrages, mais elle possède également une belle présence à l’écran.

Diffusé de manière confidentielle au mois de février 1997, Ni d’Eve ni d’Adam n’a pas affolé le compteur du box-office, mais a su éveiller la curiosité de quelques cinéphiles en étant notamment diffusé au Festival de Venise 1996. Ce premier film inégal a eu le grand mérite de révéler un talent singulier qui allait encore s’exprimer dans les années 2000, avec un style cette fois plus affirmé.

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Critique de  Virgile Dumez 

Sorties de la semaine du 5 février 1997

© 1996 Les Films Pelléas – Glem Production – La Sept Cinéma. Tous droits réservés.

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