Les grands films ne sont pas forcément les plus aimables. Monos a l’esthétique sublime, la réalisation fascinante, mais cultive le style au détriment de l’émotion, de la psychologie et de toute empathie dramatique. Le réalisateur Alejandro Landes est toutefois une révélation, de celles dont il nous tarde de découvrir la suite de la carrière.
Synopsis : Dans ce qui ressemble à un camp de vacances isolé au sommet des montagnes colombiennes, des adolescents, tous armés, sont en réalité chargés de veiller à ce que Doctora, une otage américaine, reste en vie.
Mais quand ils tuent accidentellement la vache prêtée par les paysans du coin, et que l’armée régulière se rapproche, l’heure n’est plus au jeu mais à la fuite dans la jungle…
Critique : Véritable sensation de festivals, Monos ne laisse pas insensible. Sa radicalité contemplative, son économie narrative, sa peinture crue et répétitive de l’enfant soldat sur une terre sauvage qui ne donne pas son nom, donnent le sentiment d’assister à une œuvre de l’étrange qui aime se distinguer du tout-venant de la production en se regardant quelque peu le nombril.
L’une des plus grandes réalisations de 2020
Rarement en 2020, on aura vu des plans aussi fascinants, rarement les décors nous auront autant abasourdis, rares en 2020, aurons-nous eu affaire à des films aussi vertueux dans leur réalisation. Le terme “visionnaire” dans ce contexte n’est pas galvaudé, il s’impose, de la photo à la lumière. Artistiquement et techniquement, Monos brille ; il en impose et nous laisse cois.
Pourtant cette dystopie au croisement des genres déroute. Est-ce un film de guerre, d’anticipation, un survival, un film d’horreur, un récit d’aventure initiatique ? Le réalisateur, qui s’amuse à brouiller les pistes, confie lui-même avoir eu du mal à trouver les financements pour mettre en œuvre cette odyssée sauvage qu’il aime situer entre Apocalypse Now, pour le glissement progressif dans la folie d’une jungle où l’humain se perd, et évidemment le roman de Golding, Sa Majesté des mouches, pour la mise en place d’une organisation adolescente, ici régie de l’extérieur par des adultes, mais que l’on observe livrée à elle-même.
Mais Monos s’égare dans l’économie psychologique
L’intensité de Monos est de chaque plan, mais la frustration gagne du terrain au fil du périple. Et si cette incursion dans la routine (junte ?) militaire de ce groupe de jeunes, à qui l’on a confié la garde d’une détenue, échouait à étoffer les coquilles vides que représentent ces âmes en peine ? Et si Alejandro Landes ne parvenait pas à trouver le bon chemin pour provoquer l’empathie y compris dans le pire ?
Le film est sagace, la démarche courageuse et pareille audace mérite largement l’intrusion du spectateur. Toutefois, faute d’un vrai rapport à l’humain sur lequel se raccrocher, l’impression stylistique prend le pas sur le sens et Alejandro Landes passe à côté du film immense auquel il pouvait prétendre.
Monos fait partie des victimes collatérales de la crise sanitaire du coronavirus, puisqu’il a subi la fermeture des salles onze jours après sa sortie. Un désastre pour cette œuvre vouée à l’écran large qui vaut bien qu’on s’y attarde en VOD.