Mon deuxième frère est un mélodrame rare du grand Shôhei Imamura qui se débat avec une commande dont il tire le meilleur pour livrer un intéressant constat sur les failles sociales du Japon des années 50.
Synopsis : Basé sur le journal intime d’une jeune fille de 10 ans. L’histoire de quatre orphelins et de leur lutte pour survivre dans une ville minière où la pauvreté règne. Un regard poignant sur la condition des Zainichi, les Coréens habitants le Japon, à la recherche de leur identité.
Mon deuxième frère, une commande pour la Nikkatsu
Critique : A la fin des années 50, le jeune réalisateur Shôhei Imamura fait déjà preuve d’une certaine indépendance d’esprit par rapport à ses collègues et il entend bien tourner des œuvres plus personnelles que ses premiers travaux. Toutefois, sa position au sein de la compagnie Nikkatsu est encore fragile et, pour faire accepter son projet suivant, l’audacieux Filles et gangsters (1961), il doit d’abord s’acquitter d’une commande pour le studio. Ainsi, Mon deuxième frère (1959) fait assurément partie des films les moins personnels du cinéaste.
Effectivement, ce mélodrame social appartient à un genre alors très populaire au Japon, à savoir le mélo avec enfants. Ce type de divertissement fait aisément pleurer dans les chaumières et rapporte de gros subsides aux studios qui les produisent en série. Shôhei Imamura doit donc ici adapter le roman lacrymal à succès de Sueko Yasumoto, fondé sur un échange épistolaire entre une petite fille et son jeune frère. Toutefois, si le cinéaste iconoclaste accepte le défi, il n’en modifie pas moins radicalement le livre pour le réorienter vers une dimension plus politique.
Shôhei Imamura livre un film social à forte teneur politique
Certes, le script final raconte bel et bien les aventures de quatre frères et sœurs qui se retrouvent séparés à cause d’une récession économique et de la fermeture des mines, mais le métrage entend aussi dénoncer la situation précaire des Zainichi qui sont des Coréens installés au Japon et considérés comme des citoyens de seconde zone. Malgré son peu d’amour pour le roman d’origine, Shôhei Imamura a entrepris un gros travail de documentation afin de saisir au mieux la situation de ces marginaux, tout en effectuant des recherches sur le monde des mineurs des îles du sud du Japon.
C’est d’ailleurs ce travail de recherche qui aboutit aux aspects les plus intéressants d’un long-métrage quasiment documentaire. Mon deuxième frère, outre sa structure de pur mélodrame avec notamment une accumulation de malheurs sur la même famille, en profite pour regarder en face le Japon du miracle économique et ses failles béantes. Ainsi, derrière l’insolente réussite économique de quelques-uns se dissimule aussi la situation misérable de tout un petit peuple oublié. En montrant notamment de vastes mouvements de grève, le film décrit une société japonaise déjà au bord de l’implosion, ce qui expliquera le déferlement de violence sociale au cours des furieuses années 60, marquées par des mouvements étudiants très virulents.
Mon deuxième frère ou l’œuvre la plus méconnue et mésestimée d’un cinéaste majeur
Conscient de cet aspect moins lisse, Shôhei Imamura n’en oublie pas de donner au studio ce qu’il attend, avec des séquences touchantes entre les deux gamins Takeshi Okimura et Akiko Maeda. Cinéaste du pessimisme radical, Imamura cède même à un optimisme que l’on retrouvera rarement par la suite dans son œuvre. Après tout, il ne fallait pas déprimer le grand public et le métrage se termine donc sur une note de gaieté qui jure au cœur de la filmographie très sombre de l’artiste. Pour autant, cela ne fait pas de Mon deuxième frère un spectacle niais. On peut toutefois reprocher au réalisateur une certaine esthétisation de la misère, l’emploi d’un noir et blanc contrasté de toute beauté et des cadrages artistiques que l’auteur lui-même refusera de reproduire par la suite.
Œuvre de jeunesse tournée sous la contrainte d’un studio tout-puissant, Mon deuxième frère ne doit donc pas être découvert comme un autre film d’Imamura, mais bien comme un produit typique du cinéma nippon de la fin des années 50. Dans ce genre, il fait plutôt partie du haut du panier et il a d’ailleurs connu un beau succès à sa sortie au Japon. Ainsi, le métrage a été présenté au Festival de Berlin en 1960, tout en obtenant plusieurs récompenses au Japon. Imamura a même glané un prix de la part du ministère de l’éducation, ce qu’il a très mal vécu puisque le cinéaste a toujours été critique envers le gouvernement japonais. En fait, le succès de Mon deuxième frère a eu un rôle fondateur pour Imamura qui a compris qu’il ne voulait surtout pas réitérer dans ce type de cinéma commercial adoubé par l’Etat.
Resté inédit pendant plusieurs décennies, Mon deuxième frère est disponible depuis 2016 en DVD et blu-ray chez Elephant Films dans une belle copie restaurée. L’occasion de réévaluer ce titre trop souvent raillé par les amoureux du cinéma plus radical d’Imamura.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le film en combo DVD / blu-ray
Biographies +
Shohei Imamura, Kazuko Yoshiyuki, Hiroyuki Nagato, Takeshi Okimura, Akiko Maeda