En abordant sa propre histoire, Emanuele Crialese fait de L’immensità une œuvre féministe dans l’air du temps, mais qui laisse de côté la nuance et la poésie. A voir pour la prestation de Penélope Cruz.

Synopsis : Rome dans les années 1970. Dans la vague des changements sociaux et culturels, Clara et Felice Borghetti ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas. Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial…

L’immensità, l’œuvre autobiographique d’Emanuele Crialese

Critique : Cela faisait plus de dix ans que nous n’avions plus de nouvelles du réalisateur Emanuele Crialese après le naufrage commercial de Terraferma (2011), pourtant une œuvre puissante sur le drame des migrants en mer Méditerranée. Après un court détour par la télévision (un épisode de la série Trust), Crialese a fait à nouveau parler de lui avec L’immensità (2022) qui évoque le destin d’une adolescente des années 70 qui se sent intérieurement garçon et qui doit en même temps soutenir sa mère dans une ambiance familiale tendue.

Lors de la présentation du long-métrage à la Mostra de Venise en 2022, Emanuele Crialese a surpris toute la presse en avouant que cette histoire était purement autobiographique et que lui-même avait effectué sa transition de genre, étant né fille et initialement prénommée Emanuela. Une révélation étonnante qui s’inscrit pour le réalisateur dans la lutte actuelle des transgenres pour une reconnaissance plus importante de la part de la société. Pour Crialese, il était donc temps de porter à l’écran son histoire personnelle qui fait écho à des débats sociétaux actuels.

Un film un peu trop dans l’air du temps

C’est d’ailleurs la principale limite de son cinquième effort que d’être justement en phase avec son époque et d’enfoncer des portes ouvertes par tant d’autres cinéastes par le monde. Là où Respiro (2002) rappelait en son temps l’oppression de la femme dans les sociétés rurales isolées du reste du monde, L’immensità revient sur la situation des femmes romaines dans les années 70. Quand Respiro était un superbe hymne poétique à la femme dans toute sa liberté, L’immensità participe à la vague post-MeToo qui s’en prend sans aucune nuance au patriarcat.

© 2022 Wildside – Chapter 2 – France 3 Cinéma – Pathé / Photographie Angelo Turetta. Tous droits réservés.

Dès les premiers instants, l’amateur du cinéma de Crialese sera en terrain connu avec la description de cette petite famille romaine menée par une immigrée espagnole – toujours magnifique Penélope Cruz. L’amour entre la mère de famille et ses enfants donne lieu à des scènes prodigieuses qui nous renvoient directement à celles vues dans le chef d’œuvre Respiro. Pourtant, lorsque le mari interprété de manière monolithique par Vincenzo Amato entre dans une pièce, le film se raidit en même temps que les personnages et le métrage se veut critique envers une attitude machiste effectivement détestable. Le réalisateur charge le protagoniste masculin et ne lui accorde aucune once de psychologie pour n’en faire que le vecteur d’une masculinité considérée uniquement sous l’angle de l’oppression et de la toxicité.

Des personnages trop peu approfondis

Malheureusement, ce manque de nuance dans l’écriture se ressent aussi sur l’ensemble des personnages qui ne sont finalement qu’esquissés. Ainsi, la jeune fille qui se sent masculine – judicieusement jouée par Luana Giuliani, très à l’aise – n’évolue jamais vraiment au cours du film. Elle n’est décrite que dans son unique dimension de future transgenre et de soutien de sa mère opprimée. D’ailleurs, la mater dolorosa n’est qu’une redite du personnage incarné par Valeria Golino dans Respiro, la fougue en moins. L’immensità est aussi plombée par quelques métaphores pas forcément très fines comme cette attirance de la jeune héroïne pour les gitans qui vivent non loin de chez elle, dans une marginalité qui la renvoie à sa propre situation personnelle.

Malgré ces concessions à l’air du temps qui peuvent irriter, L’immensità reste une œuvre réalisée avec talent. On y reconnaît aussitôt la patte d’un auteur complet dont l’œuvre entière est d’une cohérence totale. Sa réalisation est toujours racée et aérienne, sa photographie demeure lumineuse malgré un ton plus sombre ici et sa direction d’acteur valorise toujours autant les comédiennes qui s’abandonnent à sa caméra. Il manque sans aucun doute au film un final vraiment marquant et surtout quelques envolées poétiques qui étaient jusque-là l’apanage de ses films. Sans doute trop proche du sujet traité qui est bien évidemment entièrement autobiographique, L’immensità n’arrive aucunement à atteindre l’universalité déclamée par son titre et laisse parfois le spectateur au bord du chemin.

L’immensità a suscité la curiosité

Présenté au Festival de Venise avec une ovation de plus de dix minutes, L’immensità est pourtant reparti bredouille, de même qu’aux David di Donatello. En France, le long-métrage a bénéficié de la force de frappe de Pathé Distribution et de la présence à l’affiche de Penélope Cruz pour être diffusé dans 207 cinémas. Il s’agit de la plus grosse combinaison pour un film du cinéaste et le résultat fut plutôt encourageant en première semaine avec 91 906 entrées, ce qui est déjà plus que l’intégralité de la carrière de Terraferma (2011) qui fut un cruel échec en son temps.

La chute fut d’environ 50 % la semaine suivante avec 46 659 retardataires. Toutefois, la suite de l’exploitation permet au long-métrage de se maintenir et de franchir les 200 000 entrées vers la mi-février 2023. Début mars, L’immensità termine sa carrière à 206 497 féministes. Cela amène Pathé à n’éditer qu’un unique DVD en France au mois de mai, là où le film existe en blu-ray à l’étranger.

Critique de Virgile Dumez

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© 2022 Wildside – Chapter 2 – France 3 Cinéma – Pathé. Tous droits réservés.

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Emanuele Crialese, Penélope Cruz, Vincenzo Amato, Luana Giuliani

Mots clés

Portrait de femmes, Reconstitution des années 70, Les transgenres au cinéma