L’esprit sacré est un avatar de science-fiction domestique dont l’humour noir résonne longtemps après la projection. Une expérience fascinante, douloureuse, et cruelle.
Synopsis : Julio est mort. C’est une terrible nouvelle pour « Ovni-Levante », l’association de passionnés d’ufologie qu’il présidait. José Manuel, un de ses membres, est particulièrement touché par le décès : Julio et lui avaient un projet secret qui devait changer le destin de l’humanité. Il devra maintenant le mener à bien en solitaire.
Design : Oink Creative – © 2022 : Arrow Films. All Rights Reserved.
Un manifeste pour une science-fiction domestique loin des effets hollywoodiens
Critique : Remarqué à Cannes, Berlin et Sundance avec ses courts et moyens métrages, le réalisateur Chema Garcia Ibarra fut forcément amené à étirer son univers en un véritable long métrage. En 2001, lui qui considère chacun de ses 6 courts comme des œuvres à part entière, a donc livré son premier long métrage ou son septième film. Ses courts, tous excellents, servent de ciment à ce long métrage, L’esprit sacré, dans leur cohérence ingénieuse. Le réalisateur y déploie son étrangeté de ton au sein d’un réalisme social qui passe par des portraits de couches sociales défavorisées inattendus dans ce genre.
En effet, cet univers singulier peut passer pour contradictoire avec le genre qu’il a toujours parcouru : la S.F., puisque toute l’œuvre de l’auteur s’apparente à ce qu’il aime décrire comme de la science-fiction domestique. Il la sert à domicile, dans la ville industrielle d’Elche où il a grandi, un environnement espagnol qui n’évoque en rien les extra-terrestres dont il est beaucoup question ici, puisque les sources d’inspiration du cinéaste sont à chercher du côté d’Aki Kaurimaski ou Bunuel.
Complotisme, ésotérisme, égyptologie… Bienvenue chez les doux-dingues
C’est donc dans le quotidien de personnages sans cinégénie, celui d’une relative pauvreté, notamment intellectuelle, que Chema Garcia Ibarra libère son imagination pour envisager des situations absurdes qui dépassent l’existence de chacun. Sous l’apparente façade qui dissimule bien des zones d’ombre, l’ésotérisme et la croyance viennent s’accaparer du quotidien autour d’un bartender, qui, quand son commerce est fermé, s’en va développer des thèses ubuesques auprès d’une communauté d’ufologues. Ils se rencontrent tous, une fois par semaine, chez un agent immobilier, jusqu’à la mort soudaine de ce dernier. Le personnage de José Manuel va alors hériter d’une lourde tâche, celle de faire perdurer ces croyances ubuesques autour de “Créateurs” qui nous observent à distance et enlèvent quelques pions pour des besoins qui nous dépassent.
Etroite surveillance
Ce postulat complètement ravagé des méninges nous transporte dans une société paranoïaque où la surveillance est appuyée à chaque rayon de supermarché. Cette impression de surveillance permanente, passe aussi par les objets de décoration qui ornent le film par la présence d’yeux innombrables, avec des éléments métaphoriques qui nourrissent à la fois la noirceur de l’humour et le travail d’investigation demandé aux spectateurs. Il ne faut jamais se contenter des apparences et aller au-delà des lubies des doux-dingues. Tout est signifiant dans L’esprit sacré, et impose même un second visionnage même si certains reprocheront au film le rythme lent d’une Espagne torride où l’on prend son temps avant de faire tomber la sentence dramatique.

Affiche espagnole de L’esprit sacré (Espiritu Sagrado) – Jaibo Films, Apellaniz & De Sosa, La Fabrica Nocturna Cinéma, Teferruat Film. Tous droits réservés / All rights reserved
L’effroi derrière le quotidien
L’esprit sacré peut paraître a priori anodin dans ce contexte linéaire de vies que l’on ressent comme abîmées et son humour poético-métaphorique. Mais au-delà du réel, le propos dissimule une violence monstrueuse derrière des croyances qui sacrifient la rationalité sur l’autel du charabia égyptologique (les pyramides comme lieu de contact avec les “constructeurs extra-terrestres”, le Grand Sphinx et sa symbolique solaire).
Le récit d’une enfant disparue, nièce du barman, éclaire sur les enjeux de science-fiction du métrage que l’on n’imaginait pas aussi cruel et sardonique dans son aboutissement. Faisant de L’esprit sacré un authentique film d’auteur où le scénario est écrit pour faire sens, les indices que le cinéaste-scénariste égraine nous épouvantent. Pis, la révélation finale tombe dans un silence cru, le son entièrement coupé, comme pour en accentuer l’horreur. L’esprit sacré et ses 40 premières minutes sans aucune musique ne relève pas du plaisir, mais de l’expérience parfaitement fagotée par un artiste maître de son style.
Box-office de L’esprit sacré
Sorti en France au cinéma 11 mois après son passage remarqué à Locarno, L’esprit sacré a été plutôt apprécié par la presse qui y a vu la paternité du cinéma d’Ari Aster et de Denis Villeneuve dans leur capacité à frapper d’effroi des scènes d’un réalisme faussement neutre. Malgré tout, la production espagnole est passée complètement inaperçue en raison d’une sortie en catimini dans 4 cinémas parisiens qui ne sont pas les plus attractifs de la ville et de sa banlieue : le St-André des Arts, le Luminor, les Parnassiens, et le Méliès à Montreuil.

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Son distributeur français, qui n’est autre que La Fabrica Nocturna Cinéma, liée à la production du film, n’a pu trouver que 331 spectateurs en première semaine, puis 77 spectateurs en semaine 2. L’esprit sacré récupère encore 54 spectateurs en semaine 3 dans 3 cinémas, puis 24 entrées au seul Saint-André-des-Arts où il achève sa carrière à 485 à Paris-Périphérie.
Sur l’ensemble du pays, L’esprit sacré double à peine ses entrées (1 123) faute d’un véritable circuit pour l’accueillir (16 copies pour sa première semaine à 774 spectateurs).
Dans ces conditions, la perspective d’une édition DVD ou blu-ray en France est devenue plus qu’improbable. Il faut logiquement se tourner vers le Royaume-Uni et Arrow pour bénéficier d’un collector deux disques en blu-ray, dont un disque est entièrement consacré aux six courts métrages du cinéaste. Que du bonheur.
Les sorties de la semaine du 6 juillet 2022

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