Les sorcières d’Akelarre, à partir d’une histoire somme toute banale dans l’histoire du cinéma, livre une reconstitution du XVIIe siècle envoûtante et d’une grande richesse historique.
Synopsis : Pays basque, 1609. Six jeunes femmes sont arrêtées et accusées d’avoir participé à une cérémonie diabolique, le Sabbat. Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles fassent, elles seront considérées comme des sorcières. Il ne leur reste plus qu’à le devenir…
Critique : Pablo Agüero n’est pas un inconnu pour les cinéphiles ouverts au cinéma latin d’art et essai. Eva ne dort pas, sur les conséquences de la mort d’Eva Peron, était une proposition de cinéma emballante. C’était en 2015.
De l’influence de Jules Michelet, La sorcière
Le cinéaste qui a grandi en Patagonie, est issu d’un bidonville, qu’il assimile volontiers à la rusticité du XVIIe siècle de son film. Une époque qu’il met en scène dans Les sorcières d’Akelarre, avec un regard qu’il sait donc aborder avec recul et une certaine connaissance des enjeux rustiques de l’époque.
L’auteur se bat depuis 2008 pour mettre en scène ce projet diablement envoûtant, celle d’une chasse aux sorcières au Pays Basque, au début du XVIIe siècle. Le point de départ a été la lecture d’un roman longtemps interdit, de Jules Michelet, La sorcière (1862). L’œuvre offrait une vision libératrice de la femme/sorcière sous l’angle de la révolte contre l’oppression patriarcale et religieuse.
Création du mythe du sabbat des sorcières
Précurseur sur la lutte féministe des années 2010, post #MeToo, Pablo Agüero a dû pourtant mettre dix ans pour aboutir à produire son film qui devait évoquer l’histoire française, mais faute de financement français suffisant, se situe dans la partie espagnole du Pays Basque.
Evidemment, à la lueur des tonnes de films sur l’oppression féminine que l’actualité cinématographique expie au début des années 2020, le propos pourrait presque enfoncer des portes ouvertes, mais la mise en scène du regard illustré de l’ouvrage de Pierre de Lancre, beau-frère de Montaigne et proche d’Henri IV, qui s’est adonné à une chasse aux sorcières obsessionnelle en Navarre, allant dans ses propos créer le mythe du sabbat des femmes soumises au Malin, est vraiment opportune. Cette figure historique de notre histoire est majeure dans l’élaboration du cliché de la sorcière dans l’inconscient collectif.
Les sorcières d’Akelarre, juste une redite d’Häxan, la sorcellerie à travers les âges?
Les sorcières d’Akelarre dans ses propos cinématographiques n’a, de son côté, rien de bien original à offrir. Le chef d’œuvre du muet Häxan, la sorcellerie à travers les âges, de Benjamin Christensen, avait dès le début des années 20, conclu que la figure de la sorcière était le fruit du patriarcat dans son rejet de la sexualité et des libertés des jeunes femmes trop belles, ou des vieilles femmes, laides et démentes, à écarter de la société. Un moyen de brûler toute pathologie mentale sur le bûcher de la vérité autoproclamée d’une religion aux pouvoirs d’hommes en proie à leurs propres libido.
Une redite nécessaire et magistralement mis en scène
Philosophiquement, Pablo Agüero enfonce des portes ouvertes qu’il est peut-être bon de rappeler. Cinématographiquement, son film, récompensé par 5 Goya, est une splendeur qui redonne un souffle poétique et réaliste à une sombre histoire atemporelle. Son talent de narrateur, sa capacité à filmer la liberté d’une jeunesse innocente est de chaque plan face aux jeunes actrices formidables de spontanéité. Il les suit avec la maestria d’une caméra virevoltante, face au regard vicié d’un magistrat, étriqué, qui n’entend dans leur langue régionale que barbarie et délire sataniste. Il ne voit en ces fougueuses jeunes filles que l’expression érotique du corps qu’il essaie de combattre comme si il représentait un danger pour la monarchie et la religion.
Délivrez-nous du mâle
Les jeunes actrices bilingues, maniant naturellement la langue basque et castillane, brillent dans le rôle de magnifiques victimes d’une époque où le pouvoir était aux mains des puissants. Leurs personnages sont poussés à des confessions que l’on ne connaît que trop bien (tortures, pressions psychologiques…), jusqu’à la reproduction d’un sabbat, lors d’une assemblée nocturne hallucinante et paroxysmique, qui insinue un sentiment de folie collective, aux portes du film démoniaque et horrifique, alors qu’il ne s’agit que d’une magnifique transe psychologique où le pouvoir du mental l’emporte sur la raison.
Avec ses lumières picturales empruntant à Rembrandt et Goya, Les sorcières d’Akelarre, est le cas scolaire d’un film dont on sait tout avant d’entrer en salle, mais duquel on ressort fasciné et grandi. A découvrir absolument.