L’humour acerbe du réalisateur roumain Cornelius Porumboia, dans La Gomera, emprunte avec bonheur la voie de la comédie policière. Le film vaut pour son scénario astucieux et ses références qui raviront les cinéphiles.
Synopsis : Cristi, un inspecteur de police de Bucarest corrompu par des trafiquants de drogue, est soupçonné par ses supérieurs et mis sur écoute. Embarqué malgré lui par la sulfureuse Gilda sur l’île de la Gomera, il doit apprendre vite le Silbo, une langue sifflée ancestrale. Grâce à ce langage secret, il pourra libérer en Roumanie un mafieux de prison et récupérer les millions cachés. Mais l’amour va s’en mêler et rien ne se passera comme prévu…
Corneliu Poromboiu enfin en compétition cannoise
Critique : Corneliu Poromboiu n’avait jamais eu les honneurs de la compétition officielle cannoise, contrairement à ses compatriotes Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines, 2 jours) et Cristi Puiu (Sieranaveda).
Révélé par 12h08 à l’est de Bucarest (Caméra d’or 2007), le cinéaste avait confirmé sa singularité avec Policier, adjectif (Prix spécial un Certain Regard en 2009) et Le Trésor (Prix un Certain Talent dans cette même section en 2015). On retrouve dans Les Siffleurs cet intérêt pour des personnages en porte-à-faux avec la loi. Mais alors que le flic de Policier, adjectif refusait d’obéir par idéalisme, souhaitant une justice plus équitable et moins corrompue, Cristi est ici nettement plus désabusé, ne croit plus à sa vocation et se met à jouer les agents doubles en percevant des revenus de la mafia.
Scénario bien huilé, dialogues savoureux
On ne saurait pourtant voir dans Les Siffleurs une seule satire de la corruption policière, de même que le cadre historique et politique est lui-même plus discret que dans ses précédents films : l’héritage du communisme qui constituait la trame de 12h08 à l’est de Bucarest et le MacGuffin du Trésor n’apparaît qu’au détour d’une réplique, quand Cristi demande à sa mère de déclarer que les 50 000 euros trouvés par la police proviennent des pots-de-vin reçus naguère par le père, ancien cadre du Parti…
Le métrage dresse néanmoins un portrait au vitriol de la société actuelle où le règne de l’argent entraîne les pires compromissions. Mais là encore, Poromboiu ne se risque pas à enfoncer des portes ouvertes et préfère assumer son intrusion dans le film de genre, dont il semble avoir pris plaisir à revisiter les codes. Et sans être un sommet du thriller, Les Siffleurs séduit par son scénario bien huilé (que d’aucuns jugeront trop malin) et ses dialogues savoureux.
Un divertissement intelligent
Quant au Silbo, il apporte au film ses moments les plus drôles mais aussi une réflexion originale sur le langage. « Dans un univers codifié où tout doit être négocié, la vraie communication fonctionne mieux avec un langage secret qui permet (…) de s’extraire des rapports humains sous haute tension, pour pouvoir préserver une sorte de sincérité », a déclaré le cinéaste.
Les Siffleurs ravira aussi les cinéphiles avec ses références multiples, de l’archétype de la femme fatale (le prénom et le personnage de Gilda) à divers clins d’œil subtils (Psychose). Signalons aussi un casting sans failles dominé par l’excellent Vlad Ivanov. Quant au décor touristique de l’île de la Gomera, il est utilisé avec autant d’intelligence que ceux Bons baisers de Bruges et Qui a tué Lady Winsley ?, pour citer d’autres réussites de la comédie policière noire. Au final, Les Siffleurs est un divertissement intelligent qui devrait élargir l’audience d’un cinéaste trop longtemps cantonné dans le circuit art et essai.
Critique de Gérard Crespo
Les sorties du mercredi 08 janvier 2020
Crédit photo : Vlad Cioplea