Les sentiers de l’oubli est un parcours de femme lumineux, sur une émancipation tardive, dans une société chilienne corsetée. Un ravissement.
Synopsis : Après le décès de son mari, Claudina se retrouve dans une routine solitaire. Elle décide de quitter la campagne pour rejoindre son petit-fils Cristoban et sa fille Alejandra, avec qui la communication est compliquée. C’est ici qu’elle fait la connaissance d’Elsa, une femme indépendante et mariée qui chante dans un bar caché appelé “Porvenir” (L’avenir). Une rencontre qui va lui permettre de s’émanciper d’une vie religieuse et conservatrice.
Dans l’ombre du patriarcat
Critique : Avec un tournage commencé en 2016, Les sentiers de l’oubli a pris beaucoup de temps pour sortir au risque de suivre la voie de son titre. Quatre ans. Cette production chilienne d’à peine 1h11 sort miraculeusement en France en 2021, avec un sujet passionnant, l’émancipation tardive d’une femme dans un Chili conservateur. Elle apporte bien des pistes de réflexion et de contemplation qui ravissent.
Dans un cadre visuel et une ambiance étrange, où la science-fiction vient faire quelques apparitions métaphoriques (des flashs lumineux éblouissent le Chili avec une présence extraterrestre/divine hors-champ dans le ciel), le personnage de Rosa Ramírez est sur le sentier de l’oubli. Elle a perdu son mari. Puis sa vie sociale que son défunt époux lui avait apportée. Enfin son humble demeure. On peut y lire le constat universel d’une société patriarcale, et où en outre le jeunisme fait des ravages, avec des personnes âgées écartées du monde. Il ne reste plus rien pour une femme hors caste.
Du retrait de la vie à une retraite vivante
Devenue boulet mortifère pour sa fille chez qui elle s’installe, elle trouve la lumière en fréquentant la voisine de celle-ci. Une artiste excentrique, dont elle trouve la maison bourgeoise “étrange”. Quelques échanges de regard et la complicité entre les deux femmes s’installe. L’une a choisi d’étouffer son orientation sexuelle pour se conformer aux attentes de la société, l’autre s’y est prêtée à moitié, mariée à un homme qui lui laisse la liberté durant ses voyages, notamment d’être chanteuse d’un cabaret queer souterrain où souffle la brise iconoclaste d’une vie enfin assumée.
© Outplay films, Allen Cine, Jinete
Le cheminement vers la lumière, avec une belle photographie à l’écran, un cadrage scrupuleux, une approche naturaliste de peintre, conduit cette femme aux portes des soixante-dix ans aux grandes épiphanies de la vie, de celles qui soustraient l’homme, terme générique, de ses servitudes.
Les sentiers de l’oubli, une œuvre lumineuse de ses épiphanies
Qu’il soit de genre ou d’orientation sexuelle, le sujet est surtout universel, puisque la thématique du retrait face à ses désirs et amours opprimés, par conséquent face à soi-même, peut aussi être étendue au travail et autres frustrations du quotidien qui diminuent les êtres et les atteignent dans leurs destins humains si éphémères. Au risque de s’oublier eux-mêmes.
Les sentiers de l’oubli, expérience artistique garantie, voyage sensoriel et philosophique euphorisant, est tout ce que l’on peut attendre du cinéma du monde. Un dépaysement et des personnages qui ne nous incarnent pas, mais pourtant convoquent l’universalité, la grandeur et la beauté.
Tout est dans le titre évocateur et puissamment poétique dans sa langue originale : La nave del olvido.