Pour son nouveau documentaire sur le genre, Hélène Milano s’intéresse à la construction de la masculinité à l’adolescence, dans des zones défavorisées. La documentariste marche sur les braises de ces Charbons ardents avec une parfaite maîtrise de son sujet, profondément humain, même si socialement violent.
Synopsis : Que signifie devenir un homme aujourd’hui ? Ils ont entre 16 et 19 ans, grandissent en lycées professionnels et interrogent les normes et les codes de la virilité : la place sociale et le monde du travail qui les attend, les relations entre garçons, l’amour. Du social à l’intime on est immergé dans la construction du masculin, dans la “fabrique du garçon”.
Garçon : mode d’emploi
Critique : Dans le documentaire social et “genré”, Hélène Milano n’en est pas à son premier essai. Dans ce qui apparaît comme la première pièce d’un dytique sur une jeunesse en construction, dans des quartiers défavorisés, elle s’était intéressée à la parole bridée des filles. Le film s’intitulait Les roses noires. Sa pertinence lui a permis d’engager le processus sur la masculinité.
Qu’est-ce qu’être un garçon, ou jeune homme, quand on est issu de villes prolétaires défavorisées, où le social vous condamne d’avance à l’échec ? Pour y répondre, la documentariste a posé sa caméra à différents points sensibles de la France, du Nord au Sud, à Marseille, et la cohérence des propos relevés dessine une sociologie d’une jeunesse à cran, consciente de sa condition, totalement prisonnière des codes qui régissent le groupe.
Etre homme
Le lycée professionnel sert de socle à la démarche d’Hélène Milano qui va y puiser la source du sentiment de rejet de ces jeunes gens qui s’imposent une vision binaire d’un monde dans lequel ils ne se sentent pas à l’aise, et qu’ils limitent à leur quartier. La dualité de leur regard, quasi manichéen de la société, avec d’un côté les bourgeois et eux, les intellos et eux, la France et eux, se nourrit sur des éléments concrets (la fin des usines, l’accès à la consommation…) qui mériteraient de longs débats.
En groupe devant le professeur, face caméra en solitaire, la parole se délie, et la perspicacité sur une condition absurde où ils seront broyés par le système, s’impose d’elle-même, même si mélangée à la naïveté d’un regard de jeunes gens en construction. On leur a demandé d’aller trop vite, de s’assujettir à des normes scolaires trop tôt, alors qu’ils bouillonnaient de l’intérieur, littéralement dévorés par le poids d’une construction identitaire et de genre. Avant de penser à leur avenir, il fallait qu’ils se construisent une image, une carapace, une identité pour ne pas être dévorés tout cru par la meute. Etre homme, pour ne pas devenir la victime. La survie avant l’éducation.
Les charbons ardents marche sur des braises
Privés d’adolescence, dans ce qu’elle a de belle, de naïve, et d’innocente, les jeunes interrogés ont un bagout qui, sur la sexualité, la pornographie, la femme, la religion, la violence qu’ils s’infligent, fait parfois froid dans le dos. Le poids des règles tend vers une pensée unique de laquelle il leur semble difficile de s’extirper, puisque dans leur construction, il est difficile d’exprimer de l’amour, de l’empathie et des sentiments pour ne pas se retrouver lynchés à leur tour.
Et la tendresse, bordel ?
Conscients du malaise autour d’une vision affligeante de l’homosexualité, qui est rapidement abordée, mais surtout de la femme, ils reconnaissent pour certains la difficulté et la souffrance que leur regard, leur statut de frère affligent aux filles. Un paradoxe qui ne les contraint nullement à amender leur rapport à l’autre et mérite bien qu’aujourd’hui la société poursuive son combat pour une égalité totale.
Cette jeunesse enflammée, Hélène Milano l’observe, la sonde, avec une bienveillance qui permet la confiance et la liberté de ton. Il en ressort dans les plans et les regards, d’une puissance incroyable, des émotions fortes, la révélation criante de fêlures et de peurs, que ces jeunes gens auraient probablement aimé dissimuler.
Audacieux, courageux et toujours très beau dans sa profonde humanité
Ces moments précieux, Hélène Milano a réussi à les capter, démontrant l’importance du singulier sur le pluriel, car les pensées plurielles de ces êtres uniques sont plus riches que celles dont il font montre en groupe et qui ressassent des clichés sexistes à combattre, notamment grâce à ce type de démarche documentaire.
Audacieux, courageux et toujours très beau dans sa profonde humanité, Les charbons ardents mérite réflexion et discussion. Cette réflexion sociologique est à découvrir et à partager, en salle ou en classe, avec une jeunesse qui ne demande qu’à s’exprimer.