Magnifié par une superbe réalisation à la fluidité impressionnante, Le serment de Pamfir est une tragédie humaine touchante qui tutoie même le fantastique lors d’un dernier quart d’heure formidable. Une révélation !
Synopsis : Dans une région rurale aux confins de l’Ukraine, Pamfir, véritable force de la nature, retrouve femme et enfant après de longs mois d’absence. Lorsque son fils se trouve mêlé à un incendie criminel, Pamfir se voit contraint de réparer le préjudice. Mais devant les sommes en jeu, il n’a d’autre choix que de renouer avec son passé trouble. Au risque de tout perdre.
Le serment de Pamfir, un premier long totalement maîtrisé
Critique : Lorsqu’il envisage de réaliser son premier long-métrage de fiction après avoir passé une dizaine d’années à tourner des courts, le cinéaste ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk s’est inspiré de deux travaux précédents. Ainsi, il a déjà consacré un documentaire d’une cinquantaine de minutes au carnaval Malanka dans Krasna Malanka (2013) qui sert de ressort dramatique à Pamfir, mais aussi un court-métrage sur les trafics frontaliers entre l’Ukraine et la Roumanie qui est au centre de l’intrigue de son premier long.
Sorte de synthèse de dix ans de travaux antérieurs, Le serment de Pamfir (2022) est certes un premier film, mais il fait preuve d’une maîtrise cinématographique comme on en voit rarement dans des œuvres séminales. Aidé par le talent incroyable de son directeur de la photographie Mykyta Kuzmenko, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk livre une série de tableaux vivants remarquables qui peuvent parfois évoquer la puissance d’un Emir Kusturica, notamment lors de son dernier quart d’heure épatant.
Quand dette d’honneur rime avec tragédie
Située dans un espace frontalier assez méconnu – entre l’Ukraine et la Roumanie, cette dernière étant le point d’entrée de l’Union Européenne depuis 2007 – l’action du Serment de Pamfir suit les pas d’un ancien contrebandier qui va devoir reprendre cette pratique illégale afin de réparer une bévue commise par son adolescent de fils. Si le personnage de Pamfir – magnifique et charismatique Oleksandr Yatsentyuk – inquiète de prime abord par son aspect d’ogre des Carpates, le cinéaste en fait surtout une victime des erreurs des autres. En somme, Pamfir est un homme foncièrement honnête, mais qui est sans cesse poussé à commettre des délits par les circonstances et par son sens de l’honneur et de la parole donnée.
Photo : Nikita Kuzmenko
On retrouve ici des thématiques typiques de ces peuples d’Europe de l’Est où l’honneur est au cœur des relations sociales, au risque de pousser les hommes à des comportements violents entrainant parfois la mort. Construit sur le modèle des tragédies grecques, Le serment de Pamfir n’oublie jamais de créer des liens d’amour très puissants entre ses personnages. On adore non seulement la relation fusionnelle entre le mari et sa femme ouvrière, mais également celle entre le père et son fils (très bon Stanislav Potiak, pourtant non-professionnel). Malgré la rudesse apparente du protagoniste central, son amour total pour son fiston transparaît magnifiquement à l’écran. Comme tous les pères qui se respectent, Pamfir ne souhaite rien de plus qu’une meilleure situation pour son rejeton. Il ira ainsi jusqu’au bout pour lui offrir une échappatoire.
De l’art du plan-séquence virtuose
Tutoyant souvent les rives du film de genre – cela va du western au film noir – Le serment de Pamfir livre quelques moments de violence particulièrement tendus, d’autant que le cinéaste ne se départit pas de son goût pour le plan-séquence virtuose. Chorégraphié de main de maître, le film propose une réalisation très mobile, mais toujours d’une fluidité impeccable. Le moindre plan s’insinue dans la rétine avec force. Le drame se noue lors de la fameuse séquence carnavalesque du Malanka. Il s’agit d’une fête païenne où les hommes se griment en animaux dont des ours, des loups et bien d’autres. Symbolique, cette bacchanale met en scène des combats qui entrainent la mort, puis la résurrection, autant de thèmes qui font écho au drame en train de se nouer à l’écran. Mais surtout, cela octroie une dimension fantastique au long-métrage qui, jusque-là, demeurait très terre-à-terre.
Photo : Nikita Kuzmenko
Par la grâce de sa réalisation, Le serment de Pamfir s’élève donc au niveau des excellentes surprises du cinéma venu de l’Est, faisant de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk un auteur à suivre de très près. Malheureusement, celui-ci est actuellement resté sur le territoire ukrainien pour défendre sa patrie assiégée par les Russes. Le cinéma n’est donc certainement pas sa préoccupation centrale en ce moment.
Le serment de Pamfir, une bête de festival
Présenté lors du Festival de Cannes 2022 dans la section parallèle de la Quinzaine des Réalisateurs (mais aussi dans une trentaine d’autres festivals du monde entier), Le serment de Pamfir a fait son petit effet auprès des critiques et a été acheté par Condor Distribution qui l’a diffusé dans nos salles dès le mercredi 2 novembre 2022 avec 98 copies à la clé.
Le drame ukrainien a tenu 11 semaines à l’affiche après un démarrage à 17 829 spectateurs en première septaine. Il a fini par doubler ses chiffres initiaux et même monter jusqu’à 49 451 entrées, preuve d’un bouche-à-oreille plutôt convaincant. Le film a même eu les honneurs d’un combo DVD / blu-ray en mars 2023, toujours chez Condor. Il mérite amplement d’être découvert par les cinéphiles les plus exigeants.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 novembre 2022
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Photo : Nikita Kuzmenko – Création : Kévin Ray / Troïka
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Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, Oleksandr Yatsentyuk, Stanislav Potiak, Olena Khokhlatkina
Mots clés
Cinéma ukrainien, Quinzaine des Réalisateurs 2022, Les relations fils-père au cinéma, Tragédie