Le malin est un jalon dans la carrière de John Huston, qui aborde l’Amérique des illuminés et des prédicateurs itinérants de manière brillante, cinglante et surtout effrayante !
Synopsis : De retour de l’armée, Hazel Motes retrouve sa maison familiale à l’abandon et décide de partir pour la ville afin d’y faire « des choses qu’il n’a encore jamais faites ». Il rencontre Asa Hawks, un prédicateur escroc qui se fait passer pour aveugle. Celui-ci est accompagné de sa fille Sabbath Lily, laquelle tente de séduire le jeune homme. Agacé par l’imposture et la foi pervertie des gens qu’il rencontre, Hazel décide de fonder un nouveau culte : l’Église sans Christ…
Le malin au plus profond des enfers de la religion
Critique : Avec Le malin, John Huston, cinéaste iconoclaste, n’en est pas à son premier film d’allumé. Citons en vrac les dérangeants Les désaxés, La nuit de l’iguane, Freud, passion secrète, Reflets dans un œil d’or… Des œuvres majeures auxquelles ce film, tardif dans la carrière du cinéaste (il avait plus de 70 ans quand il a entrepris le tournage), s’apparente immédiatement. En effet, à travers cette adaptation fidèle de La sagesse dans le sang de Flannery O’Connor, le réalisateur s’attache à décrire les tourments d’êtres singuliers, entre hallucination et dépression, aveuglement et démence, comme il l’avait si souvent fait auparavant. Alors que l’auteure catholique s’amusait à se moquer des dérives sectaires d’une certaine forme de protestantisme, dans son sud moite et ardent, John Huston, lui, éternel voyageur devant l’âme, fait une incursion en Géorgie, totalement révélatrice d’une Amérique qu’il ne connaissait pas. Celle des états sudistes bigots, prenant tout son sens aujourd’hui, mais qui au début des années 80 traînait son influence avec un archaïsme forcément anachronique, lié aux fondements même de l’Amérique.
Huston, toujours fidèle aux auteurs qu’il adapte (Joyce, Tennessee Williams…), profite de sa rencontre avec le style poétique d’ O’Connor, pour mettre en scène la descente dans les enfers de la religion d’un personnage comme il les affectionne tant, en l’occurrence, celui d’Hazel Motes, un jeune homme tempétueux, en proie à une perturbante crise de rébellion, qui, à son retour de l’armée, le mène sur les sentiers de la contestation et de la remise en question. Sa fascination perverse pour les escrocs de rues, pasteurs et autres prêcheurs de pacotille qu’il abhorre, le conduit à devenir prédicateur malgré lui (autour d’un culte antireligieux !), et, dans son obstination à s’ériger contre les autres, il va lui-même se laisser gagner par la folie douce, puis, progressivement, par une violence, qui l’emporte finalement sur sa raison.
Brad Dourif, halluciné hallucinant
Dans ce personnage, ténébreux et insaisissable, on retrouve tout l’amour du réalisateur pour les figures excessives vouées à l’autodestruction. Incarné par un Brad Dourif au visage juvénile déjà halluciné et effarant, et porté par une mise en scène éclatante aux couleurs de la peinture naturaliste américaine de l’avant-guerre, Le malin est indéniablement un jalon dans la carrière de John Huston, et ce malgré son échec retentissant au box-office. Il ravira notamment tous les amateurs de curiosités qui s’inscrivent dans la mouvance d’un cinéma psychologique trouble et hypnotisant, qui, entre 1967 et la fin des années 70, foisonnait (L’autre, Ne vous retournez pas, Cérémonie secrète…).