Meilleur film de Miyazaki en vingt ans, Le garçon et le héron est un beau film d’apprentissage porté par une poésie de chaque instant.
Synopsis : Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine où il rencontre un héron cendré qui devient petit à petit son guide et l’aide au fil de ses découvertes et questionnements à comprendre le monde qui l’entoure et percer les mystères de la vie.
Une œuvre autobiographique et testamentaire
Critique : Alors qu’il a annoncé en 2013 par voie de presse qu’il prenait définitivement sa retraite, le grand manitou des studios Ghibli Hayao Miyazaki est finalement revenu sur sa décision trois ans plus tard afin de laisser derrière lui une dernière œuvre dédiée à son petit-fils.
Dès 2016, Miyazaki travaille donc sur le scénario de ce qui deviendra Le garçon et le héron, d’abord prévu pour une sortie initiale en 2019. Pour construire cette histoire qui fait également écho à sa propre enfance, Hayao Miyazaki s’est inspiré d’une source romanesque japonaise, à savoir le livre pour enfants Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburō Yoshino, qui est par ailleurs la traduction littérale du titre japonais de l’animé.
Toutefois, la dimension autobiographique est sans aucun doute la plus marquée dans cette œuvre qui résonne comme le testament laissé par un vieil homme à sa descendance, et par extension aux jeunes générations. Pour arriver à ses fins, le cinéaste a convoqué davantage de dessinateurs et d’animateurs qu’habituellement, poussant le perfectionnisme au maximum. Ainsi, la production de cet animé de deux heures a pris trois ans supplémentaires pour une création totale étendue sur six longues années.
Autant dire que le cinéaste a mis tout son cœur dans cet ouvrage d’orfèvre qui bénéficie effectivement d’une animation d’une grande fluidité, mais aussi de décors très travaillés. On peut également signaler le soin maniaque apporté à l’ambiance sonore, très feutrée, mais aussi précise que possible dans la restitution des atmosphères. Enfin, la très belle partition musicale du fidèle Joe Hisaishi vient parfaire un film protéiforme qui ne fera peut-être pas l’unanimité par son caractère délibérément cryptique.
Le voyage de Mahito
Débutant de manière très classique par une évocation réaliste des bombardements subis par la population tokyoïte durant la Seconde Guerre mondiale, Le garçon et le héron s’ouvre sur une séquence poignante où le garçon doit faire le deuil de sa mère disparue lors de l’incendie de l’hôpital où elle séjournait. Ce passage évoque par son style le sublime Le tombeau des lucioles (Isao Takahata, 1988). Pourtant, Hayao Miyazaki envoie rapidement son personnage principal se mettre au vert à la campagne, terrain de jeu favori du réalisateur, car en prise directe avec la nature et ses esprits.
Alors qu’il conserve un temps un style réaliste, le métrage nous invite progressivement sur le terrain du fantastique par le biais d’une tour étrange et fascinante autour de laquelle le jeune garçon aime errer. Mais le déclencheur intervient par la rencontre avec le héron du titre français qui joue le rôle de passeur vers un autre monde. Ce personnage fantasque révèle progressivement sa vraie nature et entraîne le héros dans des aventures toutes plus étranges les unes que les autres. Dès ce moment, Le garçon et le héron ressemble beaucoup au Voyage de Chihiro (2001) par l’accumulation de séquences étonnantes où foisonnent de petites créatures fantastiques, mais aussi des univers très différents les uns des autres.
Le garçon et le héron, une ode à la poésie séduisante
Si l’ensemble peine parfois à faire sens, le spectateur comprend assez rapidement le but du cinéaste qui entend livrer un film d’apprentissage qui va permettre au jeune héros de comprendre la connexion intime existante entre toutes choses de ce monde. Ainsi, dans un grand bain spiritualiste – mais pas religieux, la différence est importante – Hayao Miyazaki invite le spectateur à se reconnecter avec la nature, mais aussi le monde des esprits et des ancêtres. Il cherche notamment à prévenir les jeunes générations contre les tentations de repli sur des solutions simplistes qui ne peuvent qu’entraîner le monde à sa perte.
Dès lors, Le garçon et le héron apparaît comme le très beau passage de flambeau d’un poète humaniste envers une génération qui fait, comme toutes les autres avant elle, des erreurs. Alors que l’ensemble du long-métrage emporte sans problème le spectateur dans son tourbillon d’ambiances diverses (entre rires, larmes et émerveillement), il manque malheureusement d’un final vraiment prenant et se termine donc sur une scène trop terre-à-terre qui contraste fortement avec la poésie du récit. Ainsi, lorsque l’écran devient bleu pour laisser place aux crédits, le spectateur s’avère légèrement déçu par cette fin si abrupte et comme précipitée. Toutefois, cela ne doit aucunement éconduire les amoureux du cinéaste qui retrouveront ici tout le charme de son cinéma, sachant qu’il s’agit clairement de son meilleur opus depuis vingt ans.
Héron au cinéma, héros au box-office
D’ailleurs, le public nippon ne s’y est pas trompé en lui faisant un triomphe l’été dernier avec plus de 9 milliards de yens de bénéfices, soit environ 48 millions de dollars. Le début de l’exploitation française est également tout à fait enthousiasmant puisque le film constitue pour l’instant le meilleur démarrage pour un film du studio Ghibli sur notre territoire et une belle affaire pour le distributeur Wild Bunch. La qualité du film devrait lui assurer de beaux jours en salles.
Critique de Virgile Dumez
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Mots clés
Animation japonaise, Les histoires étranges au cinéma, Les relations mère-fils