Film de festival particulièrement maladroit dans sa démarche, Le dernier piano est une première œuvre qui enfonce des portes ouvertes et chausse tous les travers du mélo au risque de laisser insensible. Un coup pour rien.
Synopsis : Karim, un pianiste de talent, a l’opportunité unique de passer une audition à Vienne. La guerre en Syrie et les restrictions imposées bouleversent ses projets et la survie devient un enjeu de tous les jours. Son piano constitue alors sa seule chance pour s’enfuir de cet enfer. Lorsque ce dernier est détruit par l’Etat Islamique, Karim n’a plus qu’une idée en tête, trouver les pièces pour réparer son instrument. Un long voyage commence pour retrouver sa liberté.
Court-métrage deviendra grand
Critique : Libanais d’origine, Jimmy Keyrouz a étudié le cinéma aux Etats-Unis à l’université de Columbia. Lorsqu’il doit tourner son court-métrage de fin d’études, il souhaite témoigner des ravages de la guerre en Syrie à travers une histoire faisant intervenir la musique. Cela donne Nocturne in Black (2016) dont il offre le rôle principal au jeune acteur Tarek Yaacoub. Ce premier court met tout le monde d’accord et parvient même à être présélectionné aux Oscars du meilleur court-métrage 2017, tout en parcourant les festivals du monde entier.
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Encouragé dans sa démarche par des producteurs désireux de lui mettre le pied à l’étrier, Jimmy Keyrouz décide de transformer son court en un premier long-métrage. Pour cela, il reprend le même acteur qui lui a donné toute satisfaction et se lance dans un projet qui va rencontrer une somme incroyable de problèmes. Tout d’abord, la situation en Syrie interdit de tourner sur place et la plupart des scènes sont donc mises en boite au Liban. Malheureusement, le pays est lui-même en proie à des troubles qui ne facilitent pas le tournage.
Adagio lourdaud
Pour obtenir des plans de villes ravagées, l’équipe parvient à se rendre quelques jours en Irak, notamment dans la ville de Mossoul. Le reste sera agrémenté de retouches numériques pour étendre les aires de destruction. Comme si cela ne suffisait pas, la crise de la Covid-19 a contraint l’équipe à une interruption de tournage de plusieurs mois pour cause de confinement. D’ailleurs, la musique confiée à Gabriel Yared a elle-même été enregistrée à distance, le compositeur dirigeant depuis Paris un orchestre présent à Londres.
Véritable défi logistique, Le dernier piano est également une œuvre qui entend dénoncer avec force les exactions de Daesh et des différents groupes islamistes sur le monde arabo-musulman. On aurait aimé prendre la défense d’un tel film dont la portée humaniste ne fait aucun doute. Pourtant, Jimmy Keyrouz est tombé dans tous les pièges tendus par ce genre de sujet académique. Par défaut d’écriture, Le dernier piano apparaît surtout comme un mélodrame de guerre peu inspiré, enfonçant des portes ouvertes avec la légèreté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Clavier trop peu tempéré
Tout d’abord, tous les personnages correspondent à un archétype défini et qui ne varie jamais tout au long du métrage. Tarek Yaacoub est un jeune héros séduisant et courageux qui ira jusqu’au bout de son rêve; il croise des femmes combattantes et engagées qui ne baissent pas les bras et peut s’appuyer sur les épaules fermes d’un vieux sage (très bon Mounir Maasri). En face, les islamistes possèdent tous des physiques patibulaires, les dents serrés et le regard possédé, histoire que l’on comprenne tout de suite qu’ils sont très méchants. Il est malheureux de constater une telle binarité au sein d’une œuvre qui se veut profonde. On perçoit la même lourdeur dans la symbolique utilisée. Ici, la musique s’oppose donc au bruit des mitrailleuses, la pluralité des livres offre un rempart à l’unicité de la religion et toutes les métaphores soulignent ces éléments à l’envi.
Bien entendu, Jimmy Keyrouz n’est pas un manchot et sa réalisation est de bonne tenue, mais il s’engouffre dans tous les poncifs et livre même de très belles images d’une guerre qui est donc rendue esthétique. Ajoutez à cela l’ajout de la musique de Beethoven (un cliché en soi) et vous obtenez un pur film à Oscars destiné à bouleverser les Occidentaux par un sujet tire-larmes. Oui, les horreurs se déroulant en Syrie doivent être dénoncées, oui l’islamisme doit être combattu partout où il se développe, mais la démarche de Jimmy Keyrouz est assurément très maladroite et ne convaincra que ceux qui le sont déjà par l’abus de clichés. C’est bien dommage car le sujet méritait traitement plus fin.
Critique de Virgile Dumez
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