Sorti dans l’anonymat en 1987, La revanche des Mortes Vivantes est un nanar provincial immanquable, dans sa force destructrice des codes du bon goût, réalisé par un cinéaste du porno, Myke Strong (pseudo), dont le précédent avatar était intitulé Outrage transsexuels des petites filles violées et sodomisées. Cela ne s’invente pas.
Synopsis : Trois jeunes femmes meurent de façon inexpliquées dans un village. Leur point commun, elles étaient toutes les trois employées à l’usine du CCEA, spécialisée dans des engrais agricoles polémiques. La gendarmerie enquête et, à la tombée de la nuit, les morts s’accumulent. Les mortes seraient-elles de sortie?
Au commencement était le porno
Critique : La sortie de La revanche des mortes vivantes fut discrète. Dans la foulée des œuvres de Jean Rollin, qui avait lui-même donné dans le gore saphique avec La morte-vivante, en 1983, et des productions abyssales d’Euro Ciné et de Jess Franco comme L’abîme des morts vivants , au début des années 80, cette revanche zombiesque ne trouva que peu d’écho dans la presse.
En 1987 la production de genre nanardesque était frappée de plein fouet par la sévère crise du cinéma : fermeture à la chaîne des salles indépendantes, mort des petits distributeurs provinciaux… le contexte était difficilement abordable pour ces Mortes vivantes du bistrot du commerce, qui allaient surtout compter sur l’étranger pour se bâtir une réputation de film culte auprès d’un public niche qui trouve des circonstances atténuantes au Lac des morts vivants.
Contrairement à ce que son producteur peut dire dans les bonus de l’édition blu-ray, éditée en 2019 par Le Chat qui fume, La Revanche des mortes affligeantes n’a jamais atteint les 50 000 entrées sur Paris, une fake news formidable, puisque le film, qui a surtout crapahuté en province, n’a connu qu’une sortie en catimini dans le cinéma bisseux le Brady, en double programme, en septembre 1987.
“Dis-donc ma grande, sers-toi de ton cul, cela fera peut-être des entrées”
Les Français purent surtout découvrir ce monument d’opportunisme en VHS, dans l’édition bon marché d’un éditeur peu regardant, Carrere. Mais, après une décennie difficile pour son accessibilité, dans les années 90, une nouvelle génération de bisseux ont pu célébrer ce grandiose fleuron du bis national, avec l’avènement de l’internet et des forums de cinéma, et, évidemment, la parution du DVD édité par le défunt, mais éternellement culte, Neo Publishing, éditeur courageux, le seul à vraiment s’autoriser ce type d’excentricités dans les années 2000.
Déjà à l’époque, sur la galette, on retrouvait en supplément Jean-Claude Roy, producteur spécialiste du hardcore, avançant ces chiffres improbables sur la distribution française (50.000 entrées Paris, en 1987, vraiment?!) et une interdiction fantasque aux moins de 16 ans, puisqu’en réalité les vieilles goules du cimetière de campagne n’avaient été proscrites qu’aux spectateurs de moins de 13 ans.
Le DVD est pendant longtemps resté chez nous une référence avec bande originale synthétique d’époque en bonus (excellente dans son genre), et sa fin alternative rationnelle et donc totalement surréaliste… Le blu-ray en 2019 fait la différence en personnalisant ce film occulte, et en relançant le délire non-stop autour de ce trip dans les zones marécageuses du cinéma d’exploitation.
Charme nanardesque intarissable
Il est impossible qu’un amateur de nanars fantastiques francophones ne puisse pas trouver son compte dans cette réalisation de Peter B. Harsone. Ce dernier s’appelle en fait Pierre B. Reinhard, et dans les années 80, c’est surtout sous le pseudo Mike Strong qu’il sévissait, dans le domaine du hard, osant les titres les plus improbables : Outrages transsexuels des petites filles violées et sodomisées, un classique de l’ancien cinéma porno fermé en 2019, le Beverley, et des pages cinéma du Pariscope qui osa le référencer parmi les nouveautés, lors de sa sortie… Une drôle d’époque.
La revanche des mortes vivantes totalement connes et carrément putes, pour reprendre la rhétorique ahurissante du film, qui aiment avilir la femme et la réduire à un fantasme pour péquenaud à béret, est ce qu’il y a de plus divertissant dans le domaine de la médiocrité érigé au rang d’art. Loin des œuvres sans rythme que le cinéma d’oZone français produisait ici et là, les goules du terroir racolent dans un luxe d’agréments hilares qui les placeraient illico dans le best-of des gros délires de Nanarland. La série Z est une oraison à la vulgarité, une vulgarité faite script de cinéma aux dialogues croustillants de crasse phallocrate. L’improbabilité du scénario érigé en abécédaire de tout ce qu’il ne faut pas faire dans un film, est un énorme moment d’anticipation écolo, qui vaut bien tous les reportages de BFM TV sur Monsanto !
Généreux dans le gore, avec les effets spéciaux ultra sanglants et malaisants du regretté Benoît Lestang, disparu dans les années 2000, loin des abominations numériques contemporaines qui succédèrent au latex, le film de Reinhard arbore un joli grain de pellicule de cinéma qui lui confère immédiatement un pouvoir d’attraction que ni l’absurdité de la réalisation ni l’ineptie du montage n’entachent totalement.
Les erreurs artistiques sont monstrueuses, la ringardise des masques est à la hauteur d’un budget inexistant (les actrices ont dû garder le même masque pendant tout le tournage!), et le mélange des genres est de son côté affligeant, avec sa touche d’horreur du terroir immonde, son enquête de polar franchouillard, son espionnage industriel à la Châteauvallon et son insistant érotisme roublard. Des ingrédients, il est vrai, nécessaires aux série Z françaises dont raffolaient les Anglais et les Américains dans les années 90-2000 (le blu-ray est par ailleurs dézoné et accessible à l’international, puisqu’il comprend des sous-titres anglais destinés à l’exportation de l’édition).
Ce jalon de très mauvais goût dans le gore se regarde encore avec un plaisir coupable et des yeux ahuris, des décennies après sa sortie cinématographique totalement ratée, mais pourtant salué par Marc Toullec dans les colonnes de Mad Movies, en 1987.
Daté, car fruit d’une époque déterminée, La revanche des mortes vivants est un exercice jubilatoire encore trente ans après sa sortie, en ces temps du tout gratuit sur les sites de streaming, mais cette fois-ci, les vilaines petites cannes sont bien déterminées à devenir intemporelle grâce à la formidable édition vidéo DVD-blu-ray que propose l’éditeur Le chat qui fume. Celle-ci ouvre les archives et l’histoire de la création du film aux archivistes du 7e art. Bref, immanquable pour les collectionneurs.
Le Blu-Ray
Le Chat qui fume propose une édition limitée digipack trois disques qui a de la gueule, avec notamment la bande-originale du film sur CD, en collaboration avec Omega Productions Records.
Compléments & packaging : 5/5
Digipack épais, CD de la musique du film… les étagères des collectionneurs vont encore s’alourdir. Pourtant, c’est au niveau des suppléments que l’on remercie l’éditeur. Outre une interview déjà connue de Jean-Claude Roy et de Benoît Lestang, ahurissante de décalage entre l’humour désinvolte du maquilleur et les propos un peu roublards du producteur porno qui avait co-écrit La revanche, on retrouve des tonnes de bonus passionnants.
Les 15 minutes en compagnie de Lestang, donc le maquilleur de Baby Blood, Martyrs de Laugier, et, à ses débuts, de La morte vivante, de Rollin, est une bonne occasion de comprendre comment le tournage d’un tel film pouvait se dérouler. C’est un moment émouvant, puisque le très sympathique intervenant, à l’humour unique, s’est donné la mort en 2008.
D’ailleurs, un supplément entier lui est consacré pendant trente minutes, par Christophe Lemaire. Celui-ci est l’un de ses proches, depuis le début des années 80, alors qu’il bossait dans un vidéo-club jusqu’à la mort de son ami. Un document triste et beau à la fois, absolument nécessaire, magnifique hommage au talent de ce passionné apparu à l’époque de Starfix ou des meilleurs Mad, dans la première moitié des années 80, alors que Lestang était un jeune adolescent.
Enfin, on est heureux de découvrir la présence du réalisateur Pierre B. Reinhard dans cette édition complète, pendant un entretien de 26 minutes. Pas particulièrement porté sur le fantastique, l’artiste revient sur sa carrière, l’évolution du X, et son film de zombies. Il est même étonné que la commission de classification ait pu avoir interdit son film aux moins de 18 ans, avant un recours auprès du ministère. Nous, cela ne nous étonne pas, tant son gore est glauque et malaisé.
Image : 4/5
Surprise, la copie est belle, très belle même. C’est la première fois que le film profite chez nous d’un master digne de ce nom, avec d’authentiques couleurs et un contraste précis qui permet de découvrir une oeuvre loin des tons grisonnants des copies passées. Ce bain de jouvence relève du miracle.
Son : 3/5
On est moins satisfait du son, car la galette HD est loin d’avoir pu se débarrasser de l’authenticité de ses conditions de tournage et des désagréments liés au passage du temps. Toutefois, là encore, ces défauts charmants n’entachent nullement la pertinence de l’édition qui sublime ce petit nanar inénarrable.
Piste DTS HD 2.0
Critique et test blu-ray : Frédéric Mignard