Film féministe en forme de plaidoyer, Là où chantent les écrevisses traite trop de thèmes de manière superficielle, le tout enrobé dans un sirop romantique qui tient du roman à l’eau de rose. Dispensable.
Synopsis : Kya, une petite fille abandonnée, a grandi seule dans les dangereux marécages de Caroline du Nord. Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur la « Fille des Marais » de Barkley Cove, isolant encore davantage la sensible et résiliente Kya de la communauté. Sa rencontre avec deux jeunes hommes de la ville ouvre à Kya un monde nouveau et effrayant ; mais lorsque l’un d’eux est retrouvé mort, toute la communauté la considère immédiatement comme la principale suspecte.
Là où chantent les écrevisses, un film tourné en grande partie par des femmes
Critique : Lorsque la zoologiste Delia Owens publie son roman Là où chantent les écrevisses en 2018, l’actrice et productrice Reese Witherspoon tombe aussitôt amoureuse de ce récit d’une jeune fille qui vit en marge de la société et décide d’en acheter les droits d’adaptation pour sa société Hello Sunshine. Constituée majoritairement de femmes, cette structure à vocation ouvertement féministe, a donc développé ce projet, y associant très rapidement la réalisatrice Olivia Newman qui avait déjà tourné pour Netflix un film au sujet finalement assez proche intitulé Mon premier combat (2018).
Après avoir constitué son casting mené par la très jeune Daisy Edgar-Jones (révélée par la série Normal People), toute l’équipe est partie en Floride pour tourner en décors naturels. Même les lieux comme la cabane ont été construits sur place afin de donner encore plus de réalisme à l’intrigue. Cela se voit d’ailleurs dans le soin maniaque apporté aux images de ce marais, toutes plus superbes les unes que les autres. On peut ici saluer le très beau travail photographique effectué par Polly Morgan, ainsi que le soin apporté aux décors par Sue Chan.
Une accumulation maladroite de thématiques à la mode
Bel objet photographique, Là où chantent les écrevisses (2022) n’est pas pour autant une grande réussite sur le plan cinématographique. Effectivement, la réalisatrice Olivia Newman a pris le parti de traiter une quantité impressionnante de sujets sans en développer aucun et sans faire preuve de la moindre nuance. Ainsi, son deuxième long-métrage traite pêle-mêle de la maltraitance enfantine, de la masculinité toxique, du viol, du rejet de la différence par la société, du système patriarcal et même de l’écologie. Autant de thématiques très à la mode qui sont ici envisagées sous l’angle du plaidoyer, tout en oubliant au passage de développer l’intrigue policière qui sert en principe de fil conducteur au roman.
© 2022 3000 Pictures – Hello Sunshine – Sony Pictures Entertainment. All Rights Reserved.
Dans un style très proche du roman de gare à l’eau de rose, Là où chantent les écrevisses n’investit jamais le champ du sordide qui pourrait s’attacher à un tel sujet et préfère user d’un style ripoliné. Ainsi, les maltraitances, le meurtre et le viol sont rejetés dans le hors champ tandis que la réalisatrice ne rate pas une occasion de filmer ses jeunes acteurs – tous beaux et lisses au passage – devant des couchers de soleil donnant sur un marais jamais insalubre, mais toujours sublimé. En appliquant un baume typique de romancières comme Barbara Cartland, Olivia Newman se tire une balle dans le pied et ne rend même pas service à la cause qu’elle est censée défendre.
Là où chante Taylor Swift…
On ne croit pas un seul instant que l’actrice Daisy Edgar-Jones soit une sauvageonne n’ayant aucune culture. Trop jolie et bien apprêtée, la jeune fille n’est pas du tout crédible et son jeu semble bien fragile pour porter un rôle aussi complexe. Lorsque le twist final retentit comme une surprise, toute crédibilité s’effondre en un instant tant elle ne paraît pas du tout à sa place dans cet emploi. Face à elle, ses deux partenaires masculins sont bien trop interchangeables pour convaincre. De plus, leur antagonisme tient vraiment lieu de cliché en séparant les hommes en deux catégories, ceux qui ne sont pas menaçants – mais qui ne sont pas réellement sexués – et ceux qui peuvent devenir des prédateurs car marqués par une sexualité désormais vue comme toxique.
Le pire ne vient pas tant de ce discours pour le moins douteux – et qui justifie l’air de rien le meurtre – que de l’absence totale de rythme d’une œuvre qui digresse durant deux heures et dilue ainsi son intrigue policière jusqu’à ne plus la traiter du tout. L’issue paraît tellement évidente que le suspense s’annule de lui-même. Dès lors, il s’agit de patienter devant un catalogue de belles images jusqu’à un retournement final totalement absurde et qui ne se justifie aucunement. Débute alors la chanson du générique de fin entonnée par la très en vogue Taylor Swift qui nous gratifie d’une ballade insipide dont elle a le secret depuis plusieurs années.
Un beau succès américain, moins évident en France
Sorti aux Etats-Unis dans un contexte compliqué où rares sont les œuvres non issues de franchises qui cartonnent, Là où chantent les écrevisses a quasiment remboursé son budget modeste en une seule semaine. Avec 17 M$ de recettes en un seul week-end, le métrage pour jeunes filles a su mobiliser le public américain au point de glaner en fin de parcours plus de 90 M$ de recettes. Une belle performance pour Sony Pictures qui n’en attendait pas tant.
A Paris, lors de sa sortie du mercredi 17 août 2022, le thriller féministe se classe numéro 1 des entrées, mais à un niveau historiquement bas pour l’exploitation. Ainsi, elles ne furent que 589 adolescentes à faire le déplacement dans 21 salles, soit une moyenne anémique de 28 par écran. Par la suite, les chiffres parisiens demeurent bas avec un total de 41 298 demoiselles en détresse. Toutefois, les résultats provinciaux sont un peu plus convaincants, avec un démarrage assez mou en première semaine, mais une chute raisonnable au fil des semaines, permettant ainsi au thriller anémique d’approcher les 250 000 entrées sur l’ensemble du territoire national. On est loin des chiffres américains, mais ce n’est pas si mal après un début peu enthousiasmant. Pas de quoi en faire un incontournable pour autant.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 17 août 2022
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© Sony Pictures International Releasing
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Olivia Newman, David Strathairn, Harris Dickinson, Taylor John Smith, Daisy Edgar-Jones
Mots clés
Film féministe, La revanche des femmes, Le viol au cinéma, Film de procès, Les films Woke