La Grâce est un récit initiatique que son introspection rend difficile à apprivoiser mais qui intrigue par la part de mystère qui s’en dégage.
Synopsis : Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d’un van qui contient tous leurs biens et le matériel d’un cinéma itinérant. Ils organisent des projections en plein air dans les villages reculés. Lors de leur périple, de brèves rencontres ponctuent leur solitude. Mais leur vie va basculer sur les rives de la mer de Barents…
La Grâce, sur les starting-blocks à la Quinzaine des réalisateurs 2023, enfin en route
Critique : Un van d’un autre âge stationne dans un paysage de cailloux. Autour, un couple et une jeune fille de treize ou quatorze ans. Celle-ci se dirige vers une rivière toute proche, dans laquelle elle entre pour s’accroupir et nettoyer le sang de ses premières règles. Démarre alors un périple métaphorique pour accompagner la mue d’une adolescente soumise et repliée sur elle-même vers une émancipation qui, en même temps que s’abat sur le pare-brise de la voiture du père, délivre d’un trop-plein de retenue un récit qui se complaît dans la contemplation.
Bourlingueurs carrément à l’Est
Un père et sa fille, confinés dans l’espace étroit d’un véhicule itinérant, traverse la Russie, du sud au nord. L’un comme l’autre semble envahi de questionnements personnels qu’ils ne partagent pas. On ne connaît pas grand-chose de leur passé, de leurs aspirations. Un sentiment d’isolement encore renforcé par l’absence de dialogues, l’abolition de repères temporels et la permanence de paysages ascétiques. Pourtant derrière cette ambiance taiseuse finit par se dessiner le portrait de la Russie post-soviétique, celle dont on parle peu, une vision contradictoire, complexe, bigarrée et emberlificotée de la Russie actuelle. Pour gagner leur vie, nos bourlingueurs installent leur cinéma itinérant dans les villages qu’ils traversent tout en s’adonnant à quelques trafics illicites de ventes de cassettes pornographiques pour arrondir leurs gains, attirant à eux une foule hétéroclite.
Après L’écume, documentaire réalisé en 2019 sur des gens installés au bout du monde et qui survivent comme ils peuvent, le cinéaste russe Ilya Povolotsky délaissant pour un temps son duo de voyageurs, s’intéresse, au gré des rencontres, au parcours de ces femmes et des hommes qui vivent dans des conditions diverses et parlent des langues différentes. L’histoire s’anime alors pour rendre compte de l’effondrement de l’intelligentsia et du rejet sur le bas-côté de l’histoire de cette classe cultivée aujourd’hui laissée pour compte.
Road-movie sur des chemins aussi malaisés qu’énigmatiques
Une mise en scène ample et précise ne cache rien de ce monde éclaté avec ces villages du nord abandonnés et la dégradation des structures routières, plongeant le récit dans un univers presque fantastique tandis que le grain de l’image, de plus en plus organique, lui confère une poésie surnaturelle.
La Grâce est un film mystérieux qui se mérite. Malgré la grâce de sa mise en scène, il ne s’ouvrira qu’à ceux qui auront la curiosité de s’aventurer sur ses chemins aussi malaisés qu’énigmatiques.
Les sorties de la semaine du 24 janvier 2024
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