Sans toit ni loi, Fainéant.es de Karim Dridi est une incursion nomade dans la liberté anarchique de déracinés irrémédiablement tournés vers la marge.
Synopsis : Nina et Djoul, deux amies inséparables, sont expulsées de leur squat. Elles reprennent la route à bord de leur vieux camion avec une soif de liberté et une seule obsession : faire la teuf. Commence alors un road movie avec son lot d’aventures, de galères, de rencontres tendres ou tragiques … et de joyeuses subversions.
Critique : En 2024, Karim Dridi est revenu au cinéma, dix ans après le succès de Chouf (Séance Spéciale, Cannes 2016). Le documentaire Revivre, en février 2024, évoque l’attente de parents, entourés de soignants, dans l’attente d’un don d’organe pour leur enfant. Puis, trois mois plus tard, le cinéaste franco-tunisien présente Fainéant.es.
Celui-ci ne bénéficie pas d’un budget et d’une sortie qui lui permettent d’intriguer au-delà des auditeurs de France Inter. Le sujet social est loin des préoccupations classiques des partis politiques et des sempiternelles discussions qui inondent les podcasts et les chaînes d’info en continue, puisque Dridi évoque l’épopée hexagonale, sur des itinéraires alternatifs, de deux marginales. Deux femmes qui ont choisi la dureté de la vie, sa rugosité immédiate, pour assouvir une absolue nécessité de liberté. Appelez-les déracinées, inadaptées, ces deux femmes, que l’on pourrait qualifier de punks à chien, dans leur camionnette de misère et d’infortunes, ne vivent pourtant pas la vie comme un drame constant, mais plutôt comme une odyssée vers l’euphorie de l’instant qu’elles transcendent par la teuf, la communion avec l’autre dans la défonce et l’alcool, comme si l’immédiateté de l’existence et ses séquelles étaient trop difficiles à surmonter.
Faddo Jullian et .jU dans Faiénant.es de Karim Dridi © 2024 Mirak Films, Les Films du Veyrier
Moins féministe que son titre maladroit le laisse supposer –Fainéant.es, pourquoi pas tout simplement Fainéantes, ou Fainéant.e.s ? -, ce docu-fiction calque un caractère antisocial à une nébuleuse de protagonistes, hommes ou femmes, travailleurs du labeur dur, à l’usine ou dans les vignobles, qui ont suffisamment de lucidité pour comprendre que faire société ne peut nullement se restreindre aux canons d’une société bourgeoise et donc, c’est bien dans la marge que l’on peut trouver les individualités plurielles.
Ces inséparables, en quête d’une ultime teuf pour célébrer la sortie d’une figure masculine tutélaire, arborent les carapaces abîmées d’actrices du réel. .jU et Faddo Jullian sont deux personnalités fortes et irrésistibles ; elles ne jouent pas à l’écran leur vie mais elles octroient à leurs rôles la sincérité du vécu et une spontanéité qui distancent dans le naturalisme les deux chefs d’œuvre de l’errance et du vagabondage que sont Sans toi ni loi d’Agnès Varda avec Sandrine Bonnaire (1985) et La vie rêvée des anges d’Eric Zonca, avec Elodie Bouchez et Natacha Régnier (1998).
Fainéant.es est une expérience de cinéma social aussi attachante que puissante qui laisse indéniablement une trace, marquant la carrière de Karim Dridi à l’encre indélébile. Avec Bye Bye, en 1995, et Chouf en 2015, il s’agit de l’un de ses meilleurs longs métrages, une expérience d’écriture libre, réalisée à la marge d’un cinéma canonique, qui témoigne de l’incroyable créativité d’un auteur, qui, sans se répéter, confirme son intérêt pour les laissés-pour-compte, et ce depuis son premier long, le très sombre et radical Pigalle, en 1992.
Box-office de Fainéant.es
Distribué après l’effervescence du festival de Cannes, le 29 mai 2024, Fainéant.es de Karim Dridi a connu une carrière discrète à Paris où plus de 50% de sa fréquentation se concentrera sur ses 7 premiers jours, avec 1 753 spectateurs dans 4 salles en intra-muros (l’UGC Ciné Cité les Halles, l’UGC Ciné Cité Paris le MK2 Bibliothèque et le St-André des Arts). Des profils d’écran contraires qui lui ont permis une exposition certaine. La deuxième semaine parisienne sera moindre (612 tickets) dans une capitale qui lui gardera une place pendant 7 semaines grâce à l’appui de salles estampillées art et essai (les Lucernaire, Luminor, Archipel Paris-Ciné…).
Sur l’ensemble de la France, Fainéant.es sera du voyage sans jamais pouvoir atteindre les sommets des classiques du vagabondage français : Sans toit ni loi d’Agnès Varda avait atteint le million de spectateurs en 1985 et La vie rêvée des anges en avait réuni 1 456 456.
Avec son petit budget et un casting quasi amateur, Fainéant.es a fini sa carrière hexagonale à 10 851 spectateurs, multipliant à peine par deux sa mise de départ. Il méritait mieux. Pour le réalisateur Karim Dridi, cela marque une petite hausse par rapport aux 4 869 spectateurs de son documentaire Revivre, paru trois mois plus tôt, en février 2024, mais le cinéaste ne retrouve pas pour autant le panache de sa fiction urbaine Chouf qui avait suscité la surprise en 2016, avec 263 000 spectateurs.
Sorties de la semaine du 29 mai 2024
Le test DVD de Fainéant.es
Packaging & Compléments : 2.5 / 5
Objet à destination des médiathèques et des lieux culturels, Fainéant.es est proposé dans une édition DVD au boîtier standard. L’illustration de Lorenzo Mattotti a été judicieusement réemployée pour la jaquette.
Les suppléments sont au format de stories pour réseaux sociaux, avec des durées qui vont de pair, puisque les 8 vignettes ne dépassent pas la minute chacune. Dridi y présente individuellement le casting (féminin, masculin), l’enregistrement de la musique, offre des instants de making-of et des documents d’archives. Ainsi, on peut y découvrir déjà l’actrice Faddo Jullian, en 2013. Le réalisateur Karim Dridi avait rencontré une jeune femme émancipée de la société puisqu’elle vivait alors en toute marginalité au sein de la garrigue méridionale.
La synthèse de 8 minutes de ce projet indépendant aux formidables embruns de liberté, est certainement peu orthodoxe. En tout cas, elle nous paraît trop brève pour rendre un hommage à ce casting de têtes brûlées qui nous a passionnés.
L’image : 3.5 / 5
La définition est un peu rugueuse et manque d’acuité. C’est préjudiciable pour appréhender la beauté des paysages du Sud, dont le cinéaste a essayé de capter en Scope la luminosité et la saisonnalité.
Fainéant.es est toutefois disponible en HD en VOD.
Le son : 3.5 / 5
La sollicitation des enceintes arrière est maigre. Il faut attendre les scènes de “teuf”, tant cherchées par ces anti héroïnes, pour y trouver un peu d’agitation, notamment dans la musique. Celle-ci, utilisée avec parcimonie, laisse une vraie empreinte sur la projection de ce film vraiment enthousiasmant.
Test du DVD de Frédéric Mignard
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Mots clés :
Les films de 2024, Cinéma français, Road-movies, Les punks au cinéma