Véritable graine de film culte, Der Samurai est une œuvre étrange, azimutée et gratinée qui impose une ambiance mystérieuse du meilleur effet. A découvrir, mais à réserver à un public averti.
Synopsis : Jakob, jeune policier collet-monté, mène une vie terne dans l’Allemagne rurale. Un soir, il croise la route d’un travesti charismatique qui, armé d’un katana japonais, cultive un goût prononcé pour la décapitation. Jakob part alors à la recherche de ce samouraï fou, dans une course poursuite où s’installe une attirance réciproque.
Un film de fin d’études primé dans divers festivals
Critique : Etudiant à la DFFB (Académie allemande du film et de la télévision) de Berlin durant huit longues années, le jeune scénariste et réalisateur allemand Till Kleinert a tourné un premier film d’horreur (Lange Nacht) en toute indépendance en 2009, avant de signer son travail de fin d’études. En grande partie financé par l’école, ce nouveau long-métrage intitulé Der Samurai a connu une production chaotique à cause des nombreux refus des investisseurs privés, effrayés par la nature controversée du projet. Effectivement, le réalisateur ne dissimule aucunement son intention de verser dans le trash par une violence très graphique inspirée du manga, mais aussi par une ambiance sexuellement très ambigüe.
Finalement, Till Kleinert parvient à mener tant bien que mal ce projet à son terme. Présenté en même temps dans plusieurs festivals (de Berlin, Copenhague, Tribeca, Montréal, de Tel Aviv et Miami), le film a obtenu des échos très favorables qui lui ont permis d’envisager une distribution en salles dans quelques pays dont la France par l’entremise du distributeur Zootrope Films. Si le résultat en salle s’avère bien évidemment modeste (2 073 entrées sur tout le territoire français), cette sortie a eu le mérite d’attirer l’attention des cinéphiles les plus pointus sur cet OFNI (Objet filmique non identifié). Désormais disponible en DVD chez l’éditeur Blaq Out, Der Samurai continue donc à vivre sa petite vie, construisant peu à peu son statut de film culte en devenir.
Du cinéma alternatif, entre étrangeté onirique et délire gore à la japonaise
Il faut dire que le jeune cinéaste a le grand mérite de proposer une œuvre qui mêle de nombreuses influences, sans pour autant que celles-ci vampirisent totalement son propre style. Si l’on pense bien évidemment aux ambiances étranges typiques d’un certain cinéma issu des Flandres (comme celui d’Alex van Warmerdam, par exemple), Till Kleinert est également très clairement inspiré par une esthétique nippone. Ainsi, on ne peut s’empêcher de penser aux mangas en découvrant cet étrange personnage du samouraï, tandis que les effusions gore font songer aux délires sans filtre d’un Takashi Miike. Enfin, l’ambiance musicale fondée sur une musique électronique peut nous ramener aussi aux longs d’un certain John Carpenter.
Alors que ces multiples sources d’inspiration pourraient mener le film vers l’éparpillement, Till Kleinert parvient à développer un style qui lui est propre, tout en défrichant des thématiques que l’on imagine très personnelles. Il nous propose donc ici une sorte de conte pour adultes où le personnage principal va devoir affronter un loup métaphorique tout droit échappé de l’univers des frères Grimm. Si le tout début du film semble nous inviter à une simple traque entre un policier timoré et un criminel fou, de nombreux indices perturbants viennent ruiner toute explication rationnelle pour nous faire basculer du côté du fantastique.
Plongée dans une psyché désordonnée
Et si le policier ne traquait que lui-même ? Et si le samouraï n’était que l’expression visuelle de ses sentiments refoulés ? En réalité, Kleinert nous oblige à nous poser de nombreuses questions qui resteront en suspens une fois la projection terminée. Il laisse donc une grande liberté d’interprétation au spectateur, qu’il ne prend jamais pour un abruti. Dans tous les cas, il travaille ici les notions d’ordre et de désordre, de normalité et de chaos, tout en cherchant à creuser ce sentiment de culpabilité éprouvé par le policier qui refoule ses désirs homosexuels au plus profond de son être. Lui qui représente l’ordre, la norme et la sécurité, le voilà confronté à son propre désordre intérieur. Dès lors, le loup et le samouraï apparaissent comme une seule et même entité qui symbolisent l’anarchie (et tout ce qui va avec : désir de mort et sexualité débridée en tête).
Loin de n’être qu’un pensum intello, Der Samurai (2014) bénéficie surtout d’une atmosphère tendue assez remarquable. Certes, le réalisateur, encore jeune, succombe parfois à certains tics de mise en scène, à la provocation à deux balles ou à la faute de goût par l’intrusion de chansons un peu kitsch, mais on peut globalement saluer une œuvre qui démontre chez lui un vrai talent visuel. Il bouscule ainsi les habitudes germaniques, trop souvent empêtrées dans une forme télévisuelle. Ici, ce sont bien des plans de cinéma qui nous sont proposés, avec un point de vue affirmé et une volonté de briser les carcans d’une production trop souvent académique.
Un cinéma excessif, borderline et audacieux comme on l’aime
Parfois très gore, audacieux y compris sur le plan sexuel, Der Samurai est donc un premier film non dénué de scories, mais assez enthousiasmant et qui devrait légitimement acquérir un statut d’œuvre culte. Bien entendu, le spectacle est à réserver à un public averti – on soulignera une fois de plus l’extrême mansuétude de la commission de classification française qui n’a attribué au film qu’une interdiction aux moins de 12 ans qui nous semble bien légère au vu du contenu du long-métrage.
Critique de Virgile Dumez