Dawson City, le temps suspendu : la critique du film (2020 )

Documentaire, Film historique | 2h00min
Note de la rédaction :
8.5/10
8.5
Affiche de Dawson City, le temps suspendu

  • Réalisateur : Bill Morrison
  • Date de sortie: 05 Août 2020
  • Nationalité : Américain
  • Titre original : Dawson City: Frozen Time
  • Année de production : 2016
  • Compositeur : Alex Somers
  • Société de production : Hyptonic Pictures - Picture Palace Pictures
  • Distributeur : Théâtre du Temple Distribution
  • Editeur vidéo : Lobster Films
  • Date de sortie vidéo : 28 septembre 2020
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 3 479 entrées / 1 844 entrées
  • Box-office USA : 132 369 $ en 2016
  • Budget : Inconnu
  • Classification : Tous publics
  • Festival : Sélection Officielle Venise 2016, 53e New York Film Festival, Fetsival international de Cinéma de Marseille 2018
  • Formats : 1.85 : 1 / 5.1 / Noir et blanc, Couleur
  • Crédits : © Hyptonic Pictures - Picture Palace Pictures
Note des spectateurs :

Dawson City, le temps suspendu appartient à ces monuments du documentaire cinématographique dont la portée historique, artistique et émotionnelle dépasse son époque. Magistral. 

Synopsis : 1978, Canada. A 560 kilomètres au sud du cercle polaire arctique se trouve Dawson City. Lors de travaux destinés à construire un centre de loisirs, le conducteur d’une pelleteuse fait surgir de terre des centaines de bobines de films miraculeusement conservées. Combinant films muets, films d’actualités, images d’archives, interviews et photographies historiques, et accompagné par une bande-son envoûtante d’Alex Somers, Dawson City: Le temps suspendu dépeint l’histoire de la ruée vers l’or d’une petite ville canadienne tout en relatant le cycle de vie d’une collection de films singulière à travers son exil, son enterrement, sa redécouverte et son salut.

La restauration de film dans Dawson City, le temps suspendu

© Kathy Jones-Gates – Hyptonic Pictures – Picture Palace Pictures

Critique : Documentaire très prisé des festivals, Dawson City, le temps suspendu ne sort en France que quatre ans après sa première à Venise. Une faute de goût de la part des distributeurs français qui avaient bien là le moyen de concourir à un formidable exercice pédagogique sur l’importance du passé et la nécessité de la restauration des vestiges culturels, à une époque où l’on tend à effacer les traces de l’histoire et à se laisser engouffrer dans un flot quotidien d’images incontrôlables.

Dawson City, éminent représentant du septième art

Le documentariste Bill Morrison, artiste génial qui scénarise ses films du réel à partir d’images d’œuvres d’archives, de films anciens, en superposant des récits, ici via des sous-titres, et des images aux sources variées mais toujours citées, excelle dans le montage. Il élève sa technique en véritable art de l’épate dans sa minutie, sa variété et sa capacité à jongler, dans ce film-ci, avec de la pellicule de fiction, des actualités d’une ère révolue (merci Pathé) ou de plans du réel.

Il faut dire qu’à Dawson City, bourgade canadienne qui, au plus fort de la ruée vers l’or regroupait jusqu’à 40 000 aventuriers, et aujourd’hui regroupe à peine quelques centaines de locaux, le documentariste a trouvé matière à exploiter sa passion pour l’ancien, l’obscure, le rare, et surtout le film sur pellicule qui se doit d’être remis à la lumière pour ne pas tomber dans les limbes.

Un maelstrom d’images et de musique

Dans une symphonie visuelle et musicale – l’auteur qui a collaboré précédemment avec des compositeurs contemporains comme Jóhann Jóhannsson ou Philip Glass, a trouvé dans la mélancolie magnifique d’Alex Somers, matière à amplifier le pouvoir d’émotion, de nostalgie et d’emprise sur le spectateur qui se laisse happer par le flot constant d’images qui assoit l’histoire intimiste d’hommes au plus vaste de celle d’une nation en construction, d’un monde en ascension ou en combustion. L’hypersensibilité de l’art de Bill Morrison conjugué aux maelstrom de notes de Somers irrigue nos états d’âme.

D’où viennent ces images ?

Dawson City, coin du bout du monde, où un temps les pionniers venaient tenter leur chance pour trouver l’or tant convoité d’une Amérique fondée sur une mythologie, était surtout au début du siècle dernier le lieu de la fin d’exploitation de petits films muets, lorsque le cinéma n’était qu’un art balbutiant, mais riche en centaines et centaines de films sur support nitrate. Un support qui se dégradait vite et s’embrasait, rendant sa gestion et sa conservation dangereuse, comme le démontreront quelques-uns des nombreux incendies qui ponctuent cette œuvre hautement inflammable.

L’histoire oubliée de Hollywood… avant Hollywood

La météorologie extrême de Dawson City était loin de la réalité new-yorkaise et hollywoodienne ; les studios laissaient les copies qui parvenaient dans le bourg, après trois ans de circuit en Amérique du Nord, être détruites ou gérées par la banque locale qui devaient les rendre inaccessibles. Mais hors de question de les rapatrier vers leurs ayants-droits, trop coûteux. D’ailleurs l’archivage n’était pas encore la préoccupation dont on a aujourd’hui le souci.

En 1978, au détour d’un chantier de construction, un pasteur fait la découverte incroyable d’un patrimoine inestimable dans les combles d’une piscine désaffectée qui avait longtemps servi aux sports sur glace des jeunes autochtones… Des centaines de métrages dans un état de conservation rudement mis à l’épreuve par le temps, véritable trésor enfoui, oublié, ou également, véritable dynamite sur pellicule tant le support était létal jusqu’au passage à l’acétate dans les années 50.

 

Le rapport à l’information, la restauration, et à la préservation du passé

L’amour institutionnel qu’il porte pour l’oublié et le patrimoine en noir et blanc a immédiatement séduit Bill Morrison qui est allé planté sa caméra à Dawson pour quelques rares et belles interviews, l’essentiel de sa démarche étant autant historique qu’artistique, musicale que visuelle, avec de nombreux sous-titres ou intertitres pour donner du sens à la profusion d’informations. Le défi de l’auteur est immense, puisqu’il ambitionne de relater l’histoire de Dawson City à partir des vestiges de pellicule découverts, il revient aux sources du mythe, l’ébullition des pionniers et l’attraction de l’or, l’industrialisation d’une nation, jusqu’à ses mouvements ouvriers et la répression… En deux heures, alors que, parfois, l’on aimerait se laisser happer par nos propres réflexions sur ce que l’on est en train de (re)découvrir, Bill Morrison poursuit sa mise en perspective historico-onirique, où la profusion de sources (donc fictions, documentaires, actualités) nous abandonne parfois dans nos propres songes. Déjà, en 2016, Bill Morrison revenait sur l’origine de la fortune de Donald Trump (anecdote qui mérite le détour), la ségrégation, le sacrifice des masses et d’autres thèmes intarissables dans une œuvre méta-cinématographique qui, a priori, ne paie pas de mine et pourtant illumine notre présent de son sens.

Une douloureuse mise en garde à l’égard des vanités

Déclaration d’amour pour le muet et l’Histoire dans ce qu’elle a de plus engageant, Dawson City, le temps suspendu relève de l’art contemporain malgré son appui au celluloïd. C’est l’incarnation d’un septième art à la fois puissant et fragile, mais surtout signifiant. A l’heure où les temples du cinéma contemporains et la production de films se voient fragilisés par la digitalisation de la consommation, la crise économique liée au coronavirus et à la gestion calamiteuse du virus aux USA, et où certains groupes contestataires aimeraient réécrire ou effacer les pages sombres de notre Histoire pour rebâtir l’avenir au risque d’interdire aux générations à venir le droit d’un savoir universel, on peut interpréter Dawson City comme un très douloureux avertissement face à nos vanités.

Dawson City, le temps suspendu dans son rapport puissant au passé et à sa complexité, est une œuvre magistrale qui ne laissera pas insensible.

Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 5 août 2020

Affiche de Dawson City, le temps suspendu

Affiche de Dawson City, le temps suspendu – © Hyptonic Pictures – Picture Palace Pictures

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Affiche de Dawson City, le temps suspendu

Bande annonce de Dawson City, le temps suspendu

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