Compartiment N°6 est un joli film sur le lien affectif au-delà des différences culturelles et sociales. Un récit singulier et très attachant.
Synopsis : Une jeune Finlandaise prend un train à Moscou pour se rendre sur un site archéologique en mer arctique. Elle est contrainte de partager son compartiment avec un inconnu. Cette cohabitation et d’improbables rencontres vont peu à peu rapprocher ces deux êtres que tout oppose.
Voyage, voyage
Critique : Nous avions découvert Juho Kuosmanen avec son premier long métrage, Olli Mäki, biopic du premier boxeur finlandais participant à un championnat du monde, un film qui avait obtenu le Prix Un Certain Regard 2016. Cette chronique intimiste et sportive, au beau noir et blanc épuré, était une critique féroce du culte de la performance et du dépassement de soi. Le réalisateur a maintenant droit aux honneurs de la compétition officielle cannoise avec son second film qui confirme son originalité de ton. L’histoire a été coécrite par les scénaristes estoniens Andris Feldmanis et Livia Ulman d’après un roman de l’écrivaine finlandaise Rosa Liksom (Gallimard, 2013).
Le scénario, comme le matériau littéraire, met en exergue les contrastes de classes sociales et de cultures à travers l’expérience de deux jeunes gens contraints de partager le même compartiment de train entre Moscou et Mourmansk, un port situé sur la mer de Barents. Laura (Seidi Haarla, une révélation) est une étudiante finlandaise en archéologie. Elle veut découvrir des pétroglyphes vieux de dix mille ans et devait initialement effectuer le trajet avec son amante russe (la toujours juste Dinara Drukarova), qui s’est désistée au dernier moment. Ljoha (Yuriy Borisov, déjà vu dans Elena d’Andrey Zvyagintsev) est un ouvrier russe qui se rend sur son lieu de travail, une mine. Leur premier contact dans la voiture-couchette se passe mal, très mal, au point que Laura envisage un temps de descendre à Saint-Pétersbourg et de retourner à Moscou.
Compartiment N°6 : du road trip au feel good movie
Les dialogues et situations étant pourvus de moments de légèreté, on se doute que ces deux-là finiront par trouver un terrain d’entente. L’intérêt de l’histoire est d’osciller entre la (fausse) comédie romantique et le road trip en train, tout en proposant une approche semi-historique d’une Russie tout juste sortie de l’ère soviétique, l’action se déroulant dans les années 90. Sans explications psychologiques surlignées, le film montre ce qui sépare Laura et Lioha et ce qui pourrait les rapprocher, au-delà de leur tranche d’âge. Le mérite du long métrage est de tendre vers le feel good movie à la Bagdad Café, mais en gardant un souci d’authenticité, sans jouer la carte de l’exotisme et du maniérisme.
Les personnages croisés dans le wagon (une contrôleuse brute de décoffrage, un joueur de guitare fauché) n’ont ainsi rien d’exceptionnel et les décors qui apparaissent au gré d’un arrêt prolongé (entrepôt miteux où des ouvriers partagent et offrent de l’alcool, maison défraîchie d’une babouchka) exonèrent le film de toute tentative de diversion touristique. Le charme discret mais réel de Compartiment N°6 réside plutôt dans les non-dits et les digressions qui apportent au métrage une dimension décalée. Au final, le métrage est une très agréable surprise et aurait sa place dans un cycle de films sur les voyages en train, quelque part entre Une femme disparaît et Le crime de l’Orient-Express.
Le distributeur Haut et Court n’a pas encore fixé de date pour la sortie de Compartiment N°6.
Critique de Gérard Crespo