Le nouveau Chucky surpasse son mentor en alliant le meilleur des séries B horrifiques des années 80 et l’esprit du teen-movie de l’époque, mais surtout Child’s play la poupée du Mal convoque avec intelligence les problématiques de son temps autour du tout-connecté. Féroce et même gore, ce reboot est surtout jouissif.
Synopsis : Karen, une mère célibataire, offre à son fils Andy une poupée, ignorant tout de sa nature sanguinaire et violente.
Réhabilitation d’une franchise
Critique : Après une série de courts, dont l’un, Polaroid, qui donna naissance à un long métrage qui tronquait la VHS poussiéreuse de Ring pour l’appareil photo instantané mythique, le Norvégien Lars Klevberg accouche d’un reboot d’un classique de la fin des années 80.
L’exercice de réhabilitation d’une franchise de la décade culte pour les amateurs de film de genre, via une oeuvre qui doit répondre aussi aux exigences contemporaines est un exercice périlleux, systématisé depuis le début des années 2000 ; il fut engendré par les triomphes artistiques et commerciaux des versions contemporaines de Zombie (L’armée des morts) et Massacre à la tronçonneuse. D’Amityville à Hitcher, en passant par Suspiria ou La Malédiction, tout le folklore du reboot des classiques des années 70 et 80, y est passé, à l’exception, curieusement, de Jeu d’enfant, premier Chucky de l’histoire qui continuait à avoir des Fils et Fiancée à l’écran, et même des DTV pour alimenter l’increvable série (7 films, dont un en 2017).
Une réussite patente
Le reboot 2019 des tueries engendrées par le poupon roux laissait peu d’espoir quant à une éventuelle réussite tant elle se faisait silencieuse dans les médias à l’approche de sa sortie, posée un mois de juin 2019, peu après celle victorieuse, du moins dans le nombre d’entrées, de Simetierre d’après Stephen King, une autre relecture. Toutefois, cette fois-ci la réalité est tout autre. Exit le sentiment mitigé laissé par la réadaptation du King, Child’s play la poupée du mal, et non plus la Poupée de sang, ça, c’était le numéro 2, dissipe toutes les craintes une fois la scène d’ouverture passée. Ce nouveau Jeu d’enfant sera sardonique, ironique, critique et bénéfique pour tous les nostalgiques de la savoureuse décennie des teen-movies des années 80. C’est même une réussite patente.
En se défaussant de l’histoire surnaturelle de possession maléfique, qui faisait le sel du film originel, le nouveau Chucky se veut plutôt une satire de la société de consommation et de nos utilisations des nouvelles technologies, notamment dans les mains des enfants. L’auteur norvégien remonte jusqu’à la chaîne même de fabrication des poupées, donc en Asie, pour jeter un coup d’œil incisif, sur l’origine du Mal. L’esclavage moderne des travailleurs sous pression, l’exploitation de leur sueur… donne naissance à une poupée high-tech, dont on va faire sauter le verrou de sécurité pour lui permettre d’exercer son libre arbitre.
Child’s play la poupée du Mal érigé en critique du tout-connecté et de la société de consommation
Exportée aux USA, dans un contexte de pré-ventes du nouveau modèle à la mode, la poupée Buddy – qui pourrait être rapprochée d’un Toy Story trash par bien des aspects -, voit l’absurdité de sa condition mise à mal, dans un contexte social peu favorisé, où la mauvaise éducation des enfants abandonnés à eux-mêmes, va vicier sa capacité de choix… Quelle idée de laisser notre poupée, désormais augmentée par l’intelligence artificielle, découvrir un florilège des scènes les plus gore de Massacre à la tronçonneuse 2 – un film MGM, qui possède les droits de Chucky – en compagnie d’un public de jeunes adolescents morts de rire… Tuer en devient donc hilarant et notre nouveau copain Buddy/Chucky, va vite se prêter au jeu. Tuer s’est aussi jouer !
Après de multiples incidents, la poupée va se retrouver délaissée, trahie. Dans ces conditions, elle va s’assurer l’amitié du jeune garçon qui l’a adoptée – le trognon Gabriel Bateman, que les connaisseurs ont déjà vu dans Lights out/Dans le noir -, en réclamant du sang… Les liens du sang sont ici les fils conducteurs jouissifs d’une comédie horrifique sardonique qui a le mérite d’être courte (1h25min), toujours dans l’efficacité, et mise en scène avec le sens du spectacle. Amis pour la vie, n’est-ce pas Chucky?
Le réalisateur Lars Klevberg, pour allier les générations – les jeunes connectés de 2020 et les quadragénaires qui ont fait l’accueil triomphal au premier film -, use de tous les éléments essentiels pour fabriquer un produit monstrueux d’efficacité, d’intelligence, et de détermination. La mode des teen-movies qui a été remis à la mode avec les phénomènes Stranger Things et Ça, a donc de beaux jours devant elle tant l’esprit qui habite le reboot redonne chair aux productions chères à l’esprit des productions Amblin comme Explorers, les Goonies et autre D.A.R.Y.L. Le jeune héros du film a le pouvoir d’identification que les bouts de chou des classiques de l’époque, exerçaient indubitablement, et l’adulte n’aura aucun mal à suivre ses turpitudes, en dépit de la différence d’âge. Au contraire.
Des références savoureuses aux années 80
Dans un environnement de dystopie commerciale où le lancement d’un nouveau produit ressemble effroyablement à un Black Friday hystérique (la séquence jouissive du lancement de la nouvelle version de Buddy en magasin), la prise de pouvoir du tout-connecté par l’intelligence artificielle de Chucky évoque inexorablement le hors-franchise Halloween 3 dans lequel les forces du mal prenaient possession des enfants le soir d’Halloween via un spot TV maléfique. Child’s play, la poupée du mal ose le gloubi boulga de références savoureuses : Poltergeist 3 (une autre production MGM) est affiché dans une chambre de façon non innocente, puisque le sujet du 3e film de la franchise était aussi l’utilisation par les forces maléfiques des technologies modernes, celles d’un gratte-ciel high-tech. On pense forcément à Frankenstein, Ré-animator et évidemment à Massacre à la tronçonneuse 2, puisque des scènes entières viennent redonner vie aux classiques déviants du 7e art, avec une générosité qui force l’admiration… Tous ces classiques se greffent à une folie narrative où la poupée a, de surcroît, le mérite de susciter de l’empathie avant de virer sa cuti. Chucky est-il né pour tuer ou le résultat des échanges violents d’une société qui a pété un câble?
Le meilleur segment de la saga
Avec son scénario parfaitement huilé où rien n’est laissé au hasard, Jeu d’enfant 2.0 s’interroge sur un monde abandonné aux mains des géants de la Sillicon Valley, et notamment aux mains du gourou de Tesla (référence inévitable, jusqu’aux voitures autonomes) qui façonne notre dépendance à ses services. Les rouages contemporains amuseront les plus jeunes, terrifieront les plus grands de leur humour féroce, et n’engendra aucun déplaisir, tant l’efficacité du programme en fait le parfait film d’horreur estival, divertissant et intelligent. Mieux, le reboot a le mérite de ne pas trahir son mentor, mais surtout il affiche la défiance de vouloir surpasser les qualités limitées de l’oeuvre originelle que Tom Holland (Vampire, vous avez dit vampire?), avait mis en scène en 1988, sans chercher à réaliser la série B culte que le thriller hantée par la poupée rousse allait devenir avec le temps.
Child’s play 2019, segment le plus gore de la saga, est curieusement le plus attachant, mais aussi le plus hilarant, sur un ton différent des excellents Le Fils et La fiancée de Chucky qui avaiENt redonné du galon à la saga, dans les années 2000, sur un ton plus bis.
Chucky est certifié jouet de l’année 2019.
Critique : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 19 juin 2019
Voir le film en VOD