Sublimé par une photographie somptueuse, Canción sin nombre est un magnifique objet cinématographique qui pâtit sans doute d’une certaine froideur. Pas de quoi bouder cette bête de festival.
Synopsis : Pérou, au plus fort de la crise politique des années 1980. Georgina attend son premier enfant. Sans ressources, elle répond à l’annonce d’une clinique qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Déterminée à retrouver sa fille, elle sollicite l’aide du journaliste Pedro Campos qui accepte de mener l’enquête.
A l’origine, un fait divers sordide survenu au Pérou dans les années 80
Critique : Fille d’un journaliste qui a participé à l’enquête sur le vol de bébés qui s’est déroulé au Pérou durant les années 80, la réalisatrice Melina León a voulu retranscrire cette époque dans son tout premier long-métrage. Elle s’attache donc à suivre le destin de Georgina, une jeune femme très pauvre qui appartient à la communauté Quechua et dont le conjoint fait partie du groupuscule marxiste du Sentier Lumineux.
Nous découvrons tout d’abord le quotidien de ces pauvres gens qui survivent difficilement, avant que la jeune femme accouche dans une clinique clandestine, soi-disant gratuite. Mais très rapidement, nous comprenons que Georgina ne reverra jamais son bébé puisque la clinique disparaît du jour au lendemain, avec les nourrissons qui sont ensuite revendus à l’étranger pour être adoptés.
Une dénonciation portée par des images superbes
Melina León entend ici dénoncer une pratique qui a d’ailleurs été également fréquente dans d’autres dictatures d’Amérique latine, mais aussi en Espagne sous Franco. Pour cela, elle fait mener l’enquête par un journaliste qui, lui aussi, représente une minorité opprimée puisque l’homme s’avère être gay. La réalisatrice peint donc le portrait d’une société péruvienne fracturée où les minorités sont maltraitées et exploitées, tandis que le pouvoir est exposé à des groupes violents perpétuant des attentats.
Toutefois, au lieu de donner des explications et de signer une œuvre documentaire, Melina León a surtout recours à l’abstraction. Cela fait à la fois la force de son premier long-métrage, mais constitue aussi sa limite. Privilégiant la forme au fond, la réalisatrice signe à l’aide de son directeur de la photographie Inti Briones, une suite de plans majestueux dans un noir et blanc magnifique. Tirant sur le gris, la photographie tend à boucher l’horizon, enfermant les personnages dans un destin tragique tout tracé. Cela est également renforcé par le choix du format 4/3 qui cloisonne l’espace.
Une distanciation qui évite le mélodrame, mais annihile l’émotion
D’une beauté à couper le souffle, l’image prend parfois le pas sur l’émotion, comme on pouvait déjà le voir avec Roma (2018) d’Alfonso Cuarón. Si les scènes de l’enlèvement du bébé sont effectivement puissantes sur le plan émotionnel, Melina León semble avoir eu peur ensuite du mélodrame et s’ingénie à étouffer toute forme de dramatisation. Le but du film est bien de n’offrir aucune vraie porte de sortie aux personnages. Ainsi, l’enquête ne peut mener qu’à une déception, l’histoire du couple gay est nécessairement vouée à l’impasse et Canción sin nombre ne peut déboucher que sur une frustration majeure, un sentiment d’incomplétude.
Il faut attendre le dernier plan où l’héroïne entonne une berceuse devant un paysage enfin dégagé pour que le spectateur envisage une éventuelle issue positive à ce long-métrage assez plombant.
Une bête de festival à découvrir sur grand écran
Malgré ce sentiment d’inachèvement lié à un scénario pas totalement maîtrisé, Canción sin nombre doit impérativement être vu sur grand écran afin de profiter de la maestria absolue de sa photographie. Le long-métrage péruvien va avoir la lourde responsabilité de sortir dès le 22 juin prochain sur les écrans, date de réouverture des salles après une très longue interruption absolument inédite dans l’histoire du cinéma.
Les amoureux d’images grandioses et de films d’auteur exigeants feront de cette bête de festival (une trentaine de prix dans le monde, et une participation remarquée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2019) une de leurs priorités.