Ça marche !? est le nouveau documentaire politique de Camille de Casabianca qui interpelle quant à la réalité militante du mouvement politique En Marche, dans l’ombre de son chef. Révolution politique ou discours creux pour illusionner des militants serviles ? Le film offre des pistes de réflexion sur une révolution qui n’aura peut-être pas lieu.
Synopsis : Femmes et hommes, l’immense majorité d’entre eux s’engagent en politique pour la première fois de leur vie. Une plongée dans un mouvement de fond de la société française, la galaxie ” En marche “, avec le surgissement imprévu de la crise des gilets jaunes.
Critique : Après le NPA et la figure tutélaire d’Olivier Besancenot, à qui elle a consacré le documentaire C’est parti en 2010, la réalisatrice Camille de Casabianca s’amuse à investir la naissance d’En Marche.
Ca marche!? et C’est parti, deux ovnis politiques de Camille de Casabianca qui se ressemblent
L’approche de ce nouveau long est cohérente par rapport au film de 2010 puisqu’à chaque fois, il s’agit de mouvements citoyens où le socle, ici de “Marcheurs”, ambitionne de révolutionner la société, moins dans ses idées que sa composition. Chez les Marcheurs, une composition essentiellement centriste, hors clivages droite gauche, où le mouvement est censé octroyer une voix aux militants du monde civil.
Dans les deux documentaires, on retrouve la même figure jeune et charismatique… Besancenot a laissé ici sa place à Emmanuel Macron. Evidemment, ce dernier restera inaccessible à la caméra de la réalisatrice, puisqu’en chef de l’exécutif qu’il est, à peine entendra-t-on sa voix lors d’une allocution lointaine, quand Besancenot faisait partie intégrante des protagonistes de C’est parti.
Un regard ethnologique cocasse sur le militantisme
On comprend donc aisément l’attrait de la cinéaste pour La République en Marche ; l’auteure est toujours alerte quant aux évolutions de notre société ou plus largement des sociétés, puisque son regard d’ethnologue l’avait conduite à dresser un portrait de la Chine cocasse dans Pékin central, en 1986, sa première réalisation.
Casabianca est-elle en Marche, au service d’une formidable outil de communication global ? L’on peut bien sûr se poser des question sur la légitimité du projet à une époque de sur-communication via tous les médias existants. Mais le titre, Ça marche!?, avec son point d’interrogation sans équivoque, laisse envisager une remise en question de la réalité politique d’En Marche, décriée par beaucoup comme étant trop verticale, avec les figures proches du président occupant systématiquement les plus hautes fonctions, quand la société civile du bas, celle que l’on voit arpenter les rues et sonner aux portes, au début du film, se contente de miettes, de l’anonymat, du bénévolat, au service d’un bulldozer électoral construit par et pour l’ego d’un seul individu.
Face à un discours politique creux, le documentaire ne milite pas pour le pouvoir en place
Casabianca est peut-être trop bienveillante à bien des aspects et ne trouve pas les moments suffisamment mordants quand elle brosse le portrait des Marcheurs. Leurs affrontements et les doutes, à la veille des élections européennes, et en plein mouvement des gilets jaunes, ne sont que bien peu exacerbés. Une voix de militante portée sur l’humain et le social se fait entendre, avant d’être tue par la majorité du groupe qui démontre les limites citoyennes où l’autocritique n’est pas encore, à ce stade, développée. Et même cette militante n’essaie pas de tirer sur Macron, figure intouchable, que l’on permet comme ultime récompense aux bénévoles anonymes d’approcher une fraction de seconde.
Aussi, comme dans C’est parti, l’on ressent le besoin du groupe de se reposer sur un chef charismatique qui manipule bien les mots, mais là où Besancenot refusait d’écraser le parti de son poids pour le laisser exister, ici face à l’ombre omniprésente de Macron, on retrouve la naïveté quasi évangélique et sectaire face au mythe crée par les chaînes d’info en continu.
Non sans plaisir, Camille de Casabianca se fait l’oreille et le rapporteur de bien des discours creux. Politiquement, le film ne manifeste jamais la moindre idée nouvelle, démontrant le caractère de communiquant des personnalités comme Benjamin Grivaux, Christophe Castaner, ou Mounir Mahjoubi, qui servent des discours prémâchés au peuple, en essayant de les convaincre de la nouveauté du produit et du rôle essentiel qu’eux militants jouent dans ce nouveau monde…
Le mystère En Marche demeurera, pour les uns, irritera les autres
Dans ces moments-là, c’est la politique qui en prend pour son grade, la République en Marche qui consent à côtoyer les petites gens ne sert, dans ces scènes, que la même soupe fadasse que ses prédécesseurs, de droite comme de gauche, mais sans le naturel plus convaincant du NPA, quand il s’agissait de défendre la veuve et l’orphelin, dans C’est parti.
Sans cynisme, mais finalement avec un regard délicieusement amusé, Camille de Casabianca place un point d’interrogation sur un mystère politique qui trouvera différentes réponses quant aux vrais visages des membres d’En Marche. Des illuminés sans recul qui boivent goulûment l’eau du bénitier caressant l’espoir d’une place au paradis, des opportunistes avides de croquer dans la pomme ou des gens de conviction qui agissent avec une réflexion politique alimentée par la déception de décennies de trahison politique.
Les spectateurs, et de droite et de gauche, auront leur idée. Dans tous les cas, le discours creux des protagonistes et des ministres présents lors de quelques scènes en guest stars, aura bien du mal à séduire les nombreux réfractaires qualifiés de conservateurs non progressistes ou d’électeurs potentiels de populistes par les pontes du mouvement dans le film.
Bref, Ça marche!? est une curiosité sociologique, reflet d’une époque de transition qui fera sourire dans quelques années quand à son tour, le père Macron sera politiquement tué par un fils spirituel aux ambitions acérées. Camille de Casabianca sera-t-elle encore là pour entreprendre l’immersion dans le mouvement ? On l’espère.
Critique : Frédéric Mignard
Sorties de la semaine du 11 septembre 2019
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