Sur les traces d’un artiste peintre du XIXe siècle féru d’écologie, Birds of America de Jacques Lœuille convoque la luxuriance d’une Amérique mythique qui s’est fanée avec la révolution industrielle. Un documentaire lancinant et urgent.
Synopsis : Au début du XIXe siècle, un peintre français, Jean-Jacques Audubon, parcourt la Louisiane pour peindre tous les oiseaux du Nouveau Continent. La découverte des grands espaces sauvages encourage l’utopie d’une jeune nation qui se projette dans un monde d’une beauté inouïe. Depuis, le rêve américain s’est abîmé et l’œuvre d’Audubon forme une archive du ciel d’avant l’ère industrielle. Sur les rives du Mississippi, Birds of America retrouve les traces de ces oiseaux, aujourd’hui disparus, et révèle une autre histoire du mythe national.
Aux sources de l’inspiration écologiste
Critique : Pour son premier long au cinéma, le documentariste et artiste Jacques Lœuille rend hommage à la vision de l’aventurier Jean-Jacques Audubon. L’objet de son documentaire est donc un Français méconnu de par chez nous, qui, épris de liberté, est parti recenser les oiseaux d’une Amérique fraichement bâtie et dont le catalogue de peintures ornithologiques sert de trésor national dans un pays de libéralisme qui a souillé son environnement.
La peinture qui est faite d’Audubon au sein d’une nature dense qui commence à s’étioler, est forgée d’un bel idéalisme. Birds of America relate le parcours d’un amoureux des magnificences naturelles, visionnaire dans l’urgence de reproduire par l’art miroir la fragilité naturelle d’un écosystème qui vacillait déjà, un homme forcément proche des peuplades autochtones légendaires, qui finira aussi fauché qu’il a commencé à vivre, avec un art pictural peu reconnu en son temps, car jugé naïf dans sa reproduction obsessionnelle du détail de la vie sauvage.
Birds of America met en cause l’idéologie capitaliste d’expansion et de croissance
Extrêmement riche et documenté, le documentaire de Jacques Lœuille sur le mythe américain de l’expansionnisme investit un destin lui-même devenu mythique, notamment dans certains états du Sud, comme la Nouvelle Orléans. Audubon, précurseur de l’écologie qu’il a transcendé par son art pictural, devient le destinataire d’un récit au gré d’une narration inspirée. Outre son regard sur les oiseaux d’hier et aujourd’hui, ceux qui ont forgé tout un imaginaire représentés essentiellement via le parcours des toiles splendides du peintre, le réalisateur porte toute une réflexion sur la vocation d’extension de l’Amérique, avec l’aval d’une religion furieusement anti-nature, prompte à favoriser la liberté d’entreprise et à justifier les ravages irréversibles causés contre la nature. Le constat est social, sociologique, ethnique. L’auteur, nourri aux thématiques contemporaines, décrit un pays ivre d’hydrocarbures où la destinée manifeste de la nation a accouché d’horreurs industrielles cancérigènes qui se sont propagées en exploitant l’homme pauvre et le macrocosme naturel.
Ample dans sa vision cinématographique et son sens mélodieux d’une musique harmonique, Birds of America nourrit l’émotion du spectateur et sustente sa mélancolie, face à tant de splendeurs outragées. Propre aux œuvres de son époque, l’hommage se veut inspirant ; il parvient à l’être en trouvant le juste milieu entre pédagogie et idéalisme.
L’épopée est fabuleuse.