Chef-d’œuvre absolu du maître Robert Bresson, Au hasard Balthazar est à la fois un film d’une grande intelligence, tout en proposant une vision bouleversante du rapport entre l’Homme et la Création. Rien de moins !
Synopsis : La vie de l’âne Balthazar, plongé au milieu des drames humains et qui en meurt. “Je voulais que l’âne traverse un certain nombre de groupes humains qui représentent les vices de l’humanité. Il fallait aussi, étant donné que la vie d’un âne est très égale, très sereine, trouver un mouvement, une montée dramatique. C’est à ce moment que j’ai pensé à une fille, à la fille qui se perd.”
Le martyr de Saint-Âne
Critique : Déjà au sommet de son inspiration avec Procès de Jeanne d’Arc (1962), le cinéaste Robert Bresson confirme quelques années plus tard toute sa puissance créatrice avec Au hasard Balthazar que beaucoup considèrent comme l’un de ses plus beaux ouvrages. Il y déploie effectivement une maestria toujours impressionnante de nos jours par sa capacité à suggérer plus qu’à montrer, s’emparant ainsi de toutes les possibilités offertes par le cinématographe pour créer une œuvre cohérente et signifiante.
Il fallait ainsi oser centrer l’intégralité d’un long-métrage sur un âne dont le spectateur suivrait le parcours de sa naissance à sa mort. Point d’anthropomorphisme à l’œuvre, ni de dérive mignonne à la Disney puisque l’âne est immédiatement présenté comme une figure mystique, dépositaire de la Sagesse face à une humanité pécheresse. On retrouve ici toutes les préoccupations religieuses et moralistes (et non moralisatrices) de Robert Bresson qui oppose les faiblesses humaines à la perfection du règne animal.
La ronde des péchés capitaux
Le spectateur est invité à mieux connaître les différents propriétaires de cet âne. Chacun d’entre eux est doté d’un péché capital, que ce soit la luxure, l’orgueil ou encore l’avarice. Comme le réalisateur ne souhaite pas entrer dans des explications psychologiques, il se concentre majoritairement sur les actes et les gestes des différents protagonistes, limitant au maximum les dialogues. Cette succession ininterrompue d’échanges de regards et de gestes, mêlée à la thématique de l’argent, constitue le cœur d’une réflexion qui aboutira des années plus tard au chef-d’œuvre L’argent (1983).
L’Homme, chez Robert bresson, ne cherche qu’à posséder. Cela passe par la propriété terrienne, mais aussi par un ascendant sur les animaux et, pire, sur autrui. Chez Bresson, tout semble donc affaire de pouvoir et de domination, soit d’une espèce sur l’autre, d’un sexe sur l’autre ou d’une catégorie sociale sur l’autre. Ce terrible constat ne débouche pas systématiquement sur la condamnation des personnages, puisque ceux-ci ne sont rien d’autre que nos congénères, avec leurs qualités et leurs défauts. Il est toutefois évident que Robert Bresson se place du côté de l’âne qu’il filme de manière bouleversante. Qu’il représente l’attraction sexuelle, ou une forme de sainteté par son apparent stoïcisme, l’âne du film souffre de toutes les passions humaines qui se déchaînent autour de lui et qui finissent par avoir raison de son existence.
Une épure esthétique en accord avec une morale janséniste
© 1966 Argos Films – Parc Films – Athos Films – Svenk Filmindustri / 2015 Tamasa Diffusion
En ce sens, la dernière séquence qui voit la mort tragique de l’animal peut être considérée comme l’une des plus belles de l’histoire du cinéma, alors qu’elle est d’une incroyable simplicité. Cette même épure esthétique pousse le réalisateur à limiter au maximum les explications et à pratiquer des coupes narratives qui peuvent désarçonner de prime abord. En regardant Au hasard Balthazar, le spectateur doit s’attendre à être bousculé dans ses habitudes. Le montage est d’une grande modernité par sa volonté d’aller à l’essentiel.
Même modernité dans cette volonté d’annuler toute forme de jeu chez les modèles (Bresson n’utilisait jamais d’acteurs professionnels qu’il accusait justement de fabriquer du faux). Les interprètes emploient un ton neutre qui bouscule, mais n’empêche nullement de révéler les sentiments profonds et contradictoires des personnages.
D’une exceptionnelle puissance, Au hasard Balthazar est une œuvre magnifique, traversée d’une infinie tristesse, de ces révélations qui changent à jamais la vie d’un cinéphile. Et qui assure à Robert Bresson la place de plus grand artiste français de l’après-guerre. Ni plus, ni moins.
On notera une reprise par le distributeur Tamasa, le 4 novembre 2015, exclusivement parisienne.
Le test blu-ray :
© Potemkine
Acheter le blu-ray sur le site de l’éditeur
Compléments : 5/5
Deux suppléments de choix s’offrent au public dans cette édition blu-ray, pour un total d’une heure et demie. Le cinéaste Damien Manivel rend hommage au réalisateur qui a marqué sa vie de cinéphile (30min) en mettant en exergue les qualités du long-métrage concerné. Si le débit de parole est un peu monotone, les éléments avancés sont plutôt pertinents.
Toutefois, la vraie pépite de cette édition – et qui en justifie l’acquisition – vient de l’ajout d’une émission datant de 1966 intitulée « Un metteur en ordre, Robert bresson ». Durant une heure, Robert Bresson est interrogé sur sa méthode et sa conception du cinématographe. Prenant le temps de déployer sa pensée, l’artiste se livre comme rarement et délivre une sorte de mode d’emploi de sa façon de procéder. Cet entretien est entrecoupé d’interventions de cinéastes comme Jean-Luc Godard, Louis Malle ou François Reichenbach, qui tiennent à souligner l’importance du film qui passait pourtant inaperçu dans les salles.
L’occasion aussi de constater que la télévision pouvait encore servir de plateforme culturelle à une époque où on laissait les invités parler sans contrainte de temps et de publicité.
Le bonus est donc passionnant et indispensable.
L’image : 4,5/5
Les laboratoires Eclair ont fourni une très belle restauration qui fait honneur au magnifique travail photographique de Ghislain Cloquet. La copie a ainsi été débarrassée de toutes les scories du temps qui passe et retrouve donc une franche jeunesse. On peut sans doute regretter le léger manque de profondeur des noirs qui est repérable sur les scènes les plus sombres, nuisant ainsi aux contrastes. Toutefois, il s’agit vraiment de peccadilles par rapport à la beauté générale du rendu proposé.
Le son : 4/5
On est ici face à une piste mono classique, mais qui a été là aussi débarrassée de tout craquement ou chuintement. Le travail de restauration est donc particulièrement probant. A noter la présence de sous-titres pour malentendants.
Critique du film et test blu-ray : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 mai 1966
© 1966 Argos Films – Parc Films – Athos Films – Svenk Filmindustri / Illustration : René Ferracci © ADAGP Paris, 2019. Tous droits réservés.