Algunas Bestias est une métaphore intéressante des fractures sociales du Chili contemporain, agrémentée d’acteurs formidables et d’une réalisation fluide. L’ensemble manque toutefois d’un climax vraiment marquant.
Synopsis : Dolores et Antonio, couple de nantis, sont invités sur une île reculée par leur fille Ana, son mari Alejandro et leurs deux adolescents pour concrétiser un projet financier. Les plans tournent court quand ils se retrouvent abandonnés par le gardien de l’île. Désormais sans moyen de communication, les membres de la famille tentent de survivre dans un climat hostile, la tension s’installe et libère de sombres démons…
Un deuxième film tourné en dix jours
Critique : Après avoir signé le très indépendant Camaleón (2016), financé par la société de production de l’acteur Gastón Salgado nommée Laberinto films, le cinéaste Jorge Riquelme Serrano revient à un budget contraint pour Algunas Bestias (2019). Effectivement, le réalisateur n’a disposé que d’un unique décor, l’île de Chaulin dans l’archipel de Calbuco en face du Chili, et de dix jours pour mettre en boite les prises de vues.
Grâce à une réalisation maîtrisée, le cinéaste est parvenu à optimiser son lieu isolé du reste du globe qui présente à la fois des caractéristiques paradisiaques par ses paysages, mais aussi de fortes contraintes. Il s’agissait pour le cinéaste de trouver un lieu suffisamment loin de tout pour pouvoir y bloquer une famille chilienne qui serait symbolique des cassures sociales à l’œuvre dans un pays miné par la lutte des classes.
Algunas Bestias ou la haine de classe à son sommet
Certes, Algunas Bestias est généralement présenté comme un thriller, avec une situation tendue qui déboucherait sur un climax paroxystique. Pourtant, le résultat final s’avère assez éloigné des attentes des spectateurs puisque le long-métrage se veut avant tout une analyse sociologique des fractures d’une société chilienne marquée par le non-dit et surtout des inégalités sociales scandaleuses.
Ainsi, le couple de parents âgés constitué par les formidables vétérans Paulina Garcia et Alfredo Castro représente à lui tout seul une élite sociale méprisante, marquée par un sentiment de supériorité qui en fait des monstres de froideur. Conscients d’appartenir à une frange huppée, les deux protagonistes se conduisent envers leurs enfants de manière condescendante, lors de séquences où l’humiliation s’insinue à travers les dialogues. Pas franchement heureux que leur fille fréquente un membre de la classe inférieure, le couple joue la comédie pendant un temps, avant de révéler leur mentalité affreusement sectaire et rétrograde.
De l’art de la reproduction sociale, littéralement parlant
Petit à petit, le couple de grands-parents révèle leur mentalité fondée sur le racisme et la domination de classe. Face à eux, le couple formé par les acteurs Gastón Salgado et Millaray Lobos tente de mener à bien un projet de vie qui nécessite une aide financière. Ils se heurtent toutefois à l’ostracisme de leur propre famille, le tout fondé sur le rejet de ce beau-fils d’une classe inférieure. Enfin, dans cet affrontement social qui s’instaure, les deux adolescents paraissent perdus dans un monde parallèle fait de jeux dangereux où l’inceste n’est jamais très loin.
C’est d’ailleurs cette thématique incestueuse qui va gagner peu à peu du terrain de manière à instaurer un climat à la fois angoissant, lourd et malaisant. Dans la famille de Dolores et Antonio, on envisage visiblement la reproduction sociale de manière littérale, ce qui donne lieu à la scène la plus choquante du long-métrage. La grande force du film de Jorge Riquelme Serrano est de ne pas se faire juge de la situation et de conserver une part d’humanité à chaque personnage, même si le titre les qualifie tout de même de bêtes.
Une œuvre symbolique de la contestation sociale chilienne de 2019
Algunas Bestias (2019) vendu comme un film choc, est avant tout une œuvre du silence, du long plan-séquence et de l’attente. Il faut donc se laisser bercer par cette ambiance qui apporte in fine son lot de mal-être, sans pour autant fournir d’exutoire, puisque la fin demeure en points de suspension. Jorge Riquelme Serrano s’est donc fait l’écho du malaise social grandissant dans un Chili en proie à d’importantes manifestations depuis le mois d’octobre 2019.
Pour mémoire, ces violences de rues ont pour origine les trop grandes inégalités sociales au sein d’un pays qui a toujours mené une politique ultralibérale depuis l’époque de Pinochet. Elles ont d’ailleurs mené à la modification de la Constitution du pays, héritée du temps de la dictature. C’est donc dans cette perspective qu’il faut voir Algunas Bestias, symbole de ce malaise grandissant d’un pays au bord de l’implosion.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Sorti en exclusivité au Lucernaire, à Paris, sans aucune copie en province, Algunas Bestias est resté trois semaines à l’affiche dans ce cinéma, passant de 99 entrées en première semaine à 42 en seconde, et enfin à 23 lors de son ultime semaine d’exploitation.
Selon Le Film Français, cette œuvre chilienne arrive donc en 798e position (sur 819), dans le classement annuel des productions sorties dans les cinémas hexagonaux en 2022. Un score difficile et non mérité.
Les sorties de la semaine du 20 avril 2022
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