Ailleurs convie le jeu vidéo contemplatif au cinéma, avec une poésie d’images qui aurait gagné à bénéficier de plus de moyens, mais qui, dans le cas échéant, profite de son indépendance pour s’épanouir dans le rêve, la fantaisie, et l’imaginaire absolue. Un sanctuaire de beauté.
Synopsis : Un jeune garçon se réveille suspendu à un arbre après un accident d’avion. Au loin une grande forme menaçante s’approche de lui. Pour la fuir il se réfugie à l’entrée d’une caverne où l’étrange forme ne parvient pas à le suivre. Dans cette caverne, le jeune homme trouve une carte et une moto qui le poussent à prendre la route pour essayer de rejoindre, de l’autre côté de l’île, le port et la civilisation.
Ailleurs, ode au cinéma contemplatif
Critique : Pour une fois, le cinéma d’animation ne s’inspire pas de ses prédécesseurs télévisuels, de l’univers des mangas, des productions américaines à la Disney ou Dreamworks, ou même de l’artisanat européen. Ailleurs du
cinéaste Gintz Zilbalodis est une authentique expérience animée entièrement issue de l’admiration de son auteur pour l’univers du jeu vidéo. On ne fait pas référence aux jeux d’aventures, portés sur l’action et la destruction, maintes fois vus au cinéma, mais bel et bien d’un sous-genre méconnu du grand public : le jeu vidéo contemplatif.
Ailleurs est donc une œuvre zen plantée dans des tableaux de fantaisie et de merveilleux, doux, lumineux, organiques, où l’humain, représenté par un jeune homme tombé du ciel en parachute, est en symbiose avec une nature luxuriante, au relief parfois vertigineux, où l’on devine des vestiges civilisationnels.
De la réalité virtuelle pour spectateurs zens, mais passifs
Les enjeux narratifs sont inexistants, à l’instar des dialogues, puisqu’il s’agit d’une histoire sans paroles. Point de scénario ou de récit consistant : Ailleurs se veut être la quintessence de l’expérience mentale et sensorielle à travers le parcours empirique du protagoniste, propulsé dans les limbes, entre éveil et prise éventuelle de conscience de son errance chez les morts. Est-ce là l’interprétation métaphorique du film ? Peu importe, seul compte le degré de pénétration du spectateur dans l’univers visuellement exaltant de beauté que nous propose l’auteur. Notre personnage central, dans une fuite vers l’avant, semble vouloir échapper à une force sombre, un géant qui pourrait être un pont vers le cinéma de Miyazaki, en particulier en référence aux esprits de Princesse Mononoké. Il croise de drôles de créatures animales qui relèvent du schéma actantiel : un oiseau jaune, un renard, des petits félins dans une forêt centrée sur une source d’eau spiralée… L’homme est face à l’infiniment grand, vaste, cristallin, dans lequel il n’est qu’un détail du paysage et du vivant.
Gintz Zilbalodis, autodidacte dans l’animation, n’est pas un graphiste expérimenté, le trait de sa 3D limite parfois la splendeur de ses songes éveillés ; son animation tend vers la fluidité d’une démo de jeu vidéo. Mais malgré ses limites qui sont celles d’un cinéma purement indépendant, à petit budget, on en ressort conquis. Ailleurs est une source de fraîcheur dans un univers qui s’ouvre totalement sur l’onirisme et la méditation.
La confusion des arts graphiques
Par rapport aux classiques du jeu vidéo contemplatif comme Abzû, le gamer peut se retrouver frustré par son statut passif de spectateur. On ne connaît que trop bien l’esprit transcendant de ces univers si bien exploités en console. Par ailleurs, aujourd’hui, l’errance dans des tableaux merveilleux, en 360, a été accentuée par la réalité virtuelle. Les casques VR permettent une immersion absolue et s’imposent comme de vraies alternatives au réel en nous invitant à simuler les marches qui sont celles du protagoniste de ce beau film d’animation, mais cette fois-ci en tant qu’acteur dans des graphismes tout aussi introspectifs et où là encore, la nature sert de sanctuaire.
On peut donc considérer Ailleurs comme une expérience inédite au cinéma, qui se rapprocherait éventuellement de La tortue rouge de Michael Dudok de Wit, dans son jusqu’au-boutisme. Celui-ci bénéficiait de plus de moyens et d’une animation plus aboutie et lui est donc supérieure. Mais Ailleurs, défi qui tire parfois vers l’extase, joue sur la confusion des genres, des plateformes, des formes mêmes, démontrant la porosité des arts visuels et du flou qui accompagne leur consommation, que l’on pourrait également qualifier d’absorption.
Après des mois de confinement au cœur d’une société malade à tous les étages, Ailleurs est une source artistique de bien-être qu’il ne faut pas sous-estimer. Il faut même la recommander aux plus nombreux. Il s’agit bien là d’un pur sanctuaire de beauté.
Les sorties de la semaine du 23 septembre 2020
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Box-office :
Sorti courageusement l’année de la pandémie, le 23 septembre, Ailleurs ne trouve pas sa place sur Paris, où il coule au box-office. Il doit compter sur ses réserves en province où l’on réclame de l’image.
En première semaine, le film affiche une moyenne alarmante de 4 spectateurs par écran, avec 1 924 spectateurs dans 542 salles. La semaine suivante, il ne reste que dans 69 cinémas, mais demeure stable, avec 1 726 amoureux de jeu vidéo contemplatif.
1 711 spectateurs dans 81 salles, 2 230 dans 115 cinémas, puis en 5e semaine 1 662 dans 90 salles… Un petit bouche-à-oreille s’installe.
Ailleurs voit sa carrière stopper à 9 253 rêveurs alors que la deuxième vague de coronavirus contraint le gouvernement à fermer les salles de cinéma. Son éditeur le propose en VOD dès le mois de décembre, avec une sortie en format physique (DVD), prévue pour février 2021.