Gilles Béhat devrait s’appeler Gilles Béat, son vrai nom, mais une bévue au générique d’un film dans lequel il est acteur, au début des années 70, va lui greffer un “h” qui lui collera à la filmographie.
Le Lillois a grandi notamment dans une quartier défavorisé, la cité Belfort, et a officié dans un groupe pop dans les années 60. Son expérience de comédien (théâtre, cinéma, télévision) lui sera utile pour lui permettre d’atteindre de vraies ambitions, celles de réalisateur et de directeur d’acteurs, puisqu’il se fera toujours un point d’honneur à ne pas négliger cet aspect une fois devenu cinéaste.
Aussi on ne s’attardera pas sur sa carrière de comédien que l’on qualifiera volontiers de parenthèse, même si elle lui a permis quand même de jouer dans Les volets clos de Jean-Claude Brialy (1973), Elle court, elle court la banlieue de Gérard Pirès (1973), Chobizenesse de Jean Yanne (1975), Docteur Justice de Christian-Jaque (1975) et même le film international Le tigre du ciel de Jack Gold avec Malcom Mcdowell, qui est vraiment très bon.
Et Gilles Béhat devînt cinéaste
Gilles Béhat, pour les cinéphiles, sera donc cinéaste, un cinéaste plus ou moins heureux en fonction des époques. Ce sont les polars des années 80, des films sombres et violents, qui feront sa réputation (Rue Barbare, 1984) mais aussi le détruiront (Dancing Machine, avec Alain Delon, 1990) pour l’envoyer à la télévision. Il faut dire que le genre prolifique du film policier, à la mode pendant des décennies en France, va littéralement disparaître de la production française, dans les années 90, pour être relégué à la télévision (Béhat tournera des Navarro, Julie Lescaut, Commissaire Moulin, Les Cordiers…).
Le premier film de Gilles Béhat, Haro, est méconnu, mais il a un charme fou. Il est, à l’image de son sujet, atypique, hors des conventions de ton, de genre, un film à costumes, perdu dans des paysages qui font le charme du cinéma ibérique, loin de la civilisation qui nous obsède. Avec Laurent Malet et Valérie Mairesse, l’échec est attachant.
Affiche : J.L.M.
En 1981, il connaît le bide, à nouveau. Putain d’histoire d’amour, avec Richard Berry, dont il restera proche, et Evelyne Dress en second rôle, a du mal à se positionner dans un genre et ne peut trouver son public. L’affiche vend une comédie, ce que le film n’est pas vraiment ; ce n’est pas non plus une romance. Il a déjà un côté de film noir et urbain. En tout cas, cette production pressée désarçonne. Les producteurs André de Blanzy et Benno Feingold continuent néanmoins de croire en Béhat et acceptent de financer son projet suivant, un film hyper violent adapté d’un roman américain de David Goodis. Les années 50 d’une Amérique iconique du roman laissent place aux années 80 d’une rue éprouvante de Saint-Denis. Ce film, c’est Rue Barbare, cela sera le plus gros succès de Gilles Béat, la pierre angulaire de sa carrière. Deux millions d’entrées et une belle collaboration avec Bernard Giraudeau, mais aussi Bernard-Pierre Donnadieu. Bref, c’est culte.
Illustrateur : © Berry
Malheureusement, la suite se gâte. Il réitère avec un autre polar de banlieue et sort Urgence un an plus tard. Il y retrouve le poto Richard Berry, Bernard-Pierre Donnadieu dont il a fait une vedette nommée aux César, et dirige le très à la mode Jean-François Balmer, Fanny Bastien qui sort de Pinot Simple Flic, et sa muse, Nathalie Courval qu’il dirigeait déjà dans les années 70 dans des courts. Le film, bien marketé, est un flop, avec 840 000 entrées. Et pour cause, c’est un vrai film raté.
Bernard Giraudeau ne deviendra pas le nouvel Alain Delon
Gilles Béhat va alors partir tourner, en Argentine, son œuvre la plus ambitieuse, pour Gaumont et Les Films de la Tour qui ont produit Rue Barbare. Ce film, c’est Les Longs Manteaux. De l’action, des paysages de western sublimes, un peu de géopolitique… Ce sont aussi les retrouvailles avec Bernard Giraudeau qui entre temps a tourné dans l’un des plus grands succès du cinéma français, Les Spécialistes de Patrice Leconte, avec Gérard Lanvin. Le film de cavale a réalisé 5 319 000 entrées au box-office. Forcément, l’attente est au paroxysme autour de ce projet qui sort pour les vacances d’hiver, à un moment clé de l’exploitation. Mais malgré l’ambition des Longs manteaux, l’exotisme argentin n’est pas à la hauteur du budget et seulement 1 451 000 spectateurs retourneront leur veste. En soi, on ne crierait pas au bide en 2024, mais tout le battage médiatique autour laissait espérer tellement plus. Avec Robert Charlebois en second rôle, Gaumont manquait clairement de noms pour habiller une affiche autocentrée sur Giraudeau, qui sortait aussi du bide de Bras de fer, autre beau budget qui aurait dû faire des merveilles au box-office. Avec Les longs manteaux, Bernard Giraudeau qui sort de 15 films millionnaires, clôt une belle période commerciale, puisqu’il lui faudra attendre près de dix ans et Ridicule de Patrice Leconte pour retrouver la voie du million. En tout cas, il ne sera pas le nouvel Alain Delon.
Affiche : Les Longs Manteaux – Illustrateur : Philippe © Philippe
Gilles Béhat face à la crise du cinéma français
Pour Gilles Béhat, en revanche, les choses se compliquent. C’est la crise du cinéma en France et les films noirs n’ont plus la cote. Il dirige Guy Marchand, Caroline Cellier et le revenant Laurent Malet, dans Charlie Dingo. Pour ce projet plus intimiste, il s’est à nouveau associé au scénariste de Rue Barbare, Jean Herman (Adieu l’ami, Flic ou voyou, Garde à vue, Le Marginal). L’échec est total. Le film ne fera pas les 50 000 entrées France.
Dans un contexte morose pour tout le monde où les grands noms du cinéma français ne sont plus et où l’on mange désormais essentiellement américain, Béhat gagne sa croûte à la télévision avant d’être sorti du marasme par un projet que va finalement signer Alain Delon. Enfin, se sortir du marasme, c’est ce qu’il ose espérer au plus profond de lui, car la “diva du dancing” (référence eighties, facile) va faire de lui un paria.
Delon aime le cinéma noir et n’a pas oublié le succès de Rue Barbare. Il tourne donc volontiers avec Gilles Béhat lorsqu’on lui propose Dancing Machine, dont le projet part d’un scénario de Cerrone, l’auteur de l’hymne synthétique Supernatural. Effectivement, la star française arrive en dernier lieu sur ce projet qui vire, malheureusement, au désastre artistique et commercial. Delon, qui a mis la main au scénario et à la production, toujours plus isolé dans le cinéma français, se fait assassiner par la presse. Le polar disco avec Claude Brasseur (Les seins de glace, donc) et le danseur étoile Patrick Dupont, est miteux, et par conséquent le flop est copieux. 583 000 entrées pour un film noir avec Alain Delon… La star décédée en 2024 polémique car elle vit très mal l’assaut des critiques et notamment des journalistes, plus globalement. Pour lui aussi, il y aura un après Dancing Machine, une galère embarrassante pour tout le monde, spectateurs y compris.
Affiche de Dancing Machine – Illustrateur : Landi © Landi
Moins de deux moins après la sortie de Dancing Machine, Le vent de la Toussaint de Gilles Béhat tourné juste avant, parvient enfin à sortir en salle, en janvier 1991. Le drame en terre kabyle n’a pas les stars. Etienne Chicot, qui était dans Dancing Machine, a la lourde tâche de porter le film. L’affiche de Mascii est belle mais la sortie est confidentielle. Un nouveau bide pour Béhat qui devient persona non grata aux yeux des producteurs après le bide avec Delon.
Et Gilles Béhat devînt téléaste
Désormais, nous sommes dans les années 90 et une nouvelle carrière démarre pour Gilles Béhat. Ce vrai gentil verra son talent passer désormais exclusivement à la télévision. Il faut bien vivre de sa caméra. Jusqu’en 2008, l’homme opère exclusivement comme artisan du petit écran : il est téléaste. Au moins, il ne sera jamais sans emploi et n’en tirera aucune amertume tant sa carrière est riche en épisodes de série et autres téléfilms. Il assume. Le cinéma noir étant passé de mode en France, il lui fallait bien vivre.
Aussi, en 2009, grâce au regain d’intérêt autour du genre depuis les succès d’Olivier Marchal qui a relancé le cinéma noir avec 36 Quai des Orfèvres, en 2004, Gilles Béhat parvient enfin à faire son grand retour dans les salles obscures. Il tombe le « h » pour signer son come-back de son vrai nom, et signe symboliquement son retour en tant que Gilles Béat. Il sort en fait ce qui deviendra son ultime film, puisqu’il ne retravaillera plus par la suite, ni pour le cinéma, ni pour la télévision, se contentant d’une retraite méritée.
Ce dernier long, c’est Diamant 13, une production Marin Karmitz inespérée, puisque Béhat, également scénariste, dirige Gérard Depardieu et Olivier Marchal, et même, en premier rôle féminin, Asia Argento. Toutefois, le film vieillot jusqu’à son horrible affiche promotionnelle, est surtout un ultime désastre pour la route. Budgété à près de 7 millions d’euros, Diamant 13 ne brille pas et s’arrête sous la barre des 100 000 entrées. Il faut dire que le bouche-à-oreille est exécrable, le polar passant de 76 000 entrées en première semaine à 18 000 en deuxième (-76%). En troisième semaine, Gilles Béhat voit sa dernière chance de réhabilitation artistique perdre encore 93% de sa fréquentation. Il est quasiment historique qu’un film ouvrant à 76 000 entrées ne puisse franchir les 100 000 en fin de carrière. Point de béatitude, mais du désarroi. L’expérience sera amère. Au moins, le cinéaste a retrouvé l’excitation des projets de cinéma et tourné avec le grand Gégé, parfait personnage pour l’univers trouble de son cinéma bitumé des années 80.
En 2024, au moment d’écrire ces lignes, Gilles Béhat a peu de lignes à son sujet sur la toile. Les cinéphiles des nouvelles générations ne parlent pas assez de ces solides artisans des années 80 qui nous ont fait miroiter des sursauts. Trop français, trop “schnock” pour faire un clin d’oeil à une revue que l’on estime. Nous on le célèbre. On espère qu’il appréciera ces lignes.
© MK2 Productions, Artemis Productions, Samsa Film. Tous droits réservés
Le site officiel de Gilles Béhat
Filmographie de Gilles Béhat
(Réalisateur, longs métrages)
- 1978 : Haro !
- 1981 : Putain d’histoire d’amour
- 1984 : Rue barbare
- 1985 : Urgence
- 1986 : Charlie Dingo
- 1986 : Les Longs Manteaux
- 1988 : Le Manteau de Saint-Martin
- 1990 : Dancing Machine
- 1991 : Le Vent de la Toussaint
- 1994 : Le Cavalier des nuages
- 2009 : Diamant 13
Illustrateur : Philippe © Philippe