Sais-tu pourquoi je saute ? est un documentaire qui change notre point de vue sur l’autisme, tout en étant un bel objet cinématographique. Bouleversant, dans tous les sens du terme.
Synopsis : Quand il écrit à l’âge de 13 ans ” Sais-tu pourquoi je saute ? “, Naoki Higashida, un adolescent atteint d’autisme non-verbal ne sait pas qu’il va provoquer une véritable révolution pour la compréhension de cette maladie et devenir le porte-parole de tous ceux qui, comme lui, sont incompris. Pour la première fois, le monde découvre que l’esprit enfermé dans un corps d’autiste est en fait aussi curieux, subtil et complexe que celui de n’importe qui.
Une vision renouvelée de l’autisme non verbal
Critique : Depuis plusieurs années maintenant, notre vision de l’autisme progresse fortement, allant bien au-delà des clichés qui restent pourtant encore attachés à ce trouble du neurodéveloppement dans la population dite normale, que nous appellerons par commodité neurotypique. Aujourd’hui, nous savons que les troubles du spectre de l’autisme sont extrêmement variés et qu’il existe finalement presqu’autant d’autismes que d’autistes. D’où une prise en charge difficile par les différents acteurs de la santé publique.
Mais si un certain nombre d’autistes sont tout à fait capables d’exprimer leur ressenti par une absence de retard du langage (que l’on regroupe dans la catégorie liée au syndrome d’Asperger), bon nombre d’entre eux s’avèrent lourdement handicapés. Ce sont ceux qui marquent la conscience collective car ils ne parviennent pas à verbaliser leur détresse de manière cohérente et peuvent entrer dans des crises terribles faites de coups et de cris.
Entrez dans la tête d’un autiste
Ce sont justement ces individus, souvent qualifiés de déficients mentaux, que le documentariste britannique Jerry Rothwell décide de suivre aux quatre coins du globe. Pour cela, il se base sur le livre Sais-tu pourquoi je saute ? du Japonais Naoki Higashida qui est parvenu à rédiger ce petit livre à l’âge de 13 ans alors qu’il est lui-même atteint d’autisme non verbal. Un petit exploit qui nous est expliqué ici et qui permet d’en savoir plus sur le ressenti de ces êtres pourtant en apparence coupés de leurs semblables par une incapacité à communiquer.
L’énorme qualité du travail effectué par Jerry Rothwell sur Sais-tu pourquoi je saute ? vient de sa capacité à faire ressentir au spectateur toutes les émotions, les sensations et les souvenirs qui bombardent le cerveau des autistes en permanence, rendant leur vision du monde confuse et surtout totalement angoissante.
Affiche britannique de Sais-tu pourquoi je saute ? © Met Film Production
Quand la forme cinématographique épouse parfaitement le fond
Par la magie de l’outil cinématographique, Jerry Rothwell filme en très gros plans des détails du quotidien qui prennent alors une allure inquiétante dès lors que l’on se concentre sur un unique détail et non sur le tout (caractéristique autistique typique, y compris chez les Asperger). En travaillant la bande-son, il pousse les spectateurs à ressentir l’acuité du moindre son qui environne le quotidien des neurotypiques afin de leur faire prendre conscience à quel point un son qui leur paraît insignifiant peut apparaître comme un facteur de stress pour un autiste, provoquant ainsi des réactions extrêmes allant jusqu’à la violence.
Enfin, par le jeu d’un montage très travaillé, Rothwell nous fait comprendre le manque de structure du cerveau autiste qui mélange allègrement les périodes de la vie, comme si le montage d’un film avait été effectué dans le désordre le plus complet. Toutefois, le plus intéressant dans ce documentaire exceptionnel vient de cette découverte effectuée seulement depuis quelques années : même les cas apparemment les plus sévères d’autisme font preuve d’une réelle intelligence qui peut même s’exprimer par le biais de planches alphabétiques, autrement appelé communication par épellation. Ainsi, ces autistes qui ne produisent que quelques sons peu identifiables sont désormais capables de s’exprimer par le biais de ces techniques novatrices.
La France, scandaleusement à la traîne sur ce sujet
Le cinéaste montre même que l’apprentissage devient possible grâce à ces méthodes et que chaque autiste se sent ainsi valorisé et reconnu comme un être humain à part entière. Ces techniques sont de plus en plus développées dans le monde anglosaxon, mais tardent à venir en France où le retard est considérable dans la prise en charge des autistes. Un véritable scandale dans un pays qui donne des leçons à la planète entière sur bien des points.
Afin de montrer que ces problématiques se retrouvent aux quatre coins du globe, Jerry Rothwell suit le parcours d’autistes en Inde, aux États-Unis, en Sierra Leone et en Angleterre. Toutes les parties s’avèrent émouvantes pour des raisons différentes. Il ressort de toutes ces histoires un amour indéfectible des parents pour leurs enfants handicapés (même si l’on n’oublie pas de préciser un nombre conséquent d’abandons quand le diagnostic est posé), mais aussi un terrible rejet de la société, notamment sur le continent africain où ces gosses sont encore parfois qualifiés d’enfants du diable. La pression est donc énorme sur les parents et l’on ressent leur angoisse lorsqu’ils se mettent à réfléchir à leur propre disparition : comment leur enfant survivra-t-il dans un monde auquel ils ne sont pas adaptés?
Un bijou qui est aussi une bête de festival
Non seulement le long-métrage est puissamment émouvant – mais sans jamais chercher à l’être – parfois terrible notamment lors des crises de violence des autistes et très souvent poétique grâce à la maestria de sa réalisation. Porté par des plans superbes, une très belle photographie qui vise à sublimer la nature et une bande originale planante de toute beauté, Sais-tu pourquoi je saute ? est non seulement un documentaire indispensable pour changer son point de vue sur l’autisme, mais aussi un très bel objet cinématographique. Il est plutôt rare de tomber sur des œuvres qui modifient en profondeur notre vision du monde. Sais-tu pourquoi je saute ? en fait partie.
Présenté avec succès dans plusieurs festivals dont celui de Sundance où il a gagné le Prix du Public en 2020, mais aussi au Festival Atmosphères, le documentaire a patienté jusqu’en 2022 pour être projeté en France. Ce petit bijou est d’abord paru en vidéo depuis fin mars 2022 – voir le test blu-ray ci-dessous – et sort conjointement en salle à partir du 6 avril pour des séances spéciales uniquement. A noter que le métrage est également disponible sur la plateforme Disney +.
Les sorties de la semaine du 6 avril 2022
© 2022 BFI Film Fund – British Film Institute (BFI) – Met Film Production – Runaway Fridge Productions – The Ideas Room –
Vulcan Productions. Tous droits réservés.
Le test du blu-ray :
Si le documentaire sort en salle à partir du 6 avril 2022, il est également disponible en DVD et blu-ray depuis fin mars dans une édition simple, mais intéressante par ses suppléments.
Compléments & packaging : 4 / 5
Le blu-ray se présente de manière classique avec un boitier Amaray bleu sans grand intérêt. Toutefois, la galette bleue vaut le détour pour ses suppléments vidéo. Si l’entretien avec le réalisateur Jerry Rothwell est bien trop court pour être passionnant (moins de 2 min), on est davantage satisfait par l’entretien filmé en 2020 au Festival Atmosphères avec l’éducateur Daoud Tatou, qui a inspiré le film Hors normes de Nakache et Toledano. Celui-ci répond pendant quasiment une heure aux questions du public qui venait de découvrir le documentaire qui nous occupe. Cela offre un parfait complément au film, et ceci même si certaines questions semblent franchement déplacées, car liées au contexte de pandémie et de fièvre antivax typique de l’année 2020.
Enfin, la bande-annonce du film clôt la partie bonus.
L’image : 5 / 5
Le travail photographique effectué par le réalisateur est remarquable et il est parfaitement rendu par la copie blu-ray dont la colorimétrie est chatoyante, la définition impeccable et la fluidité admirable. Vraiment rien à redire.
Le son : 5 / 5
La piste sonore en anglais sous-titré est proposée dans un 5.1 qui ne fait pas de la figuration. Ainsi, les différentes enceintes sont sollicitées régulièrement et même le caisson de basses vrombit à plusieurs reprises afin de mieux immerger le spectateur dans cet univers anxiogène qui est celui des autistes. La musique est également parfaitement spatialisée.
Critique et test blu-ray de Virgile Dumez
Acheter le blu-ray du film sur le site de l’éditeur
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