Thriller efficace, Misanthrøpe est surtout le portrait d’une Amérique fracturée et qui engendre ses propres monstres. Le regard de l’Argentin Damian Szifron est assurément critique et pessimiste, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Intéressant.
Synopsis : Eleanor, une jeune enquêtrice au lourd passé, est appelée sur les lieux d’un crime de masse terrible. La police et le FBI lancent une chasse à l’homme sans précédent, mais face au mode opératoire constamment imprévisible de l’assassin, l’enquête piétine. Eleanor, quant à elle se trouve de plus en plus impliquée dans l’affaire et se rend compte que ses propres démons intérieurs peuvent l’aider à cerner l’esprit de ce tueur si singulier…
Misanthrøpe, un thriller ambitieux produit par Shailene Woodley
Critique : Essentiellement connu en France pour avoir signé la comédie grinçante Les nouveaux sauvages (2014), le cinéaste argentin Damian Szifron a ensuite décidé de s’exiler à Hollywood où il a mis plusieurs années afin de monter un projet qui lui tenait vraiment à cœur. En 2019, il boucle enfin le scénario original de ce Misanthrøpe, avec l’aide de son complice Jonathan Wakeham. Pourtant, il a fallu l’aide de l’actrice Shailene Woodley qui s’est impliquée dans la production pour que le projet aboutisse véritablement. La jeune femme a sans doute eu conscience que ce thriller pouvait changer la donne au sein d’une carrière jusque-là dévouée aux rôles de midinettes insipides.
Finalement, le tournage est effectué à Montréal au début de l’année 2020, mais la crise de la Covid-19 et du cinéma en général a repoussé sa sortie jusqu’au début d’année 2023. Misanthrøpe nous arrive donc par inadvertance en ce mois d’avril où le cinéma américain a fortement déserté les salles, perdu qu’il est entre des blockbusters à plusieurs centaines de millions de dollars et des produits formatés pour les plateformes. Le spectateur qui fut autrefois habitué à découvrir en salles des productions commerciales moins onéreuses – et donc souvent plus libres et ambitieuses – ne trouve plus guère de film comme Misanthrøpe sur grand écran. Le genre même du film d’enquête semble avoir abandonné les salles, miné par l’offre profuse de la télévision.
Bienvenue dans une Amérique plus que jamais déchirée
Pourtant, avec ce nouveau film, l’Argentin Damian Szifron ne se contente pas de livrer un énième polar trépidant, mais entend ausculter les failles d’une Amérique de plus en plus malade d’elle-même. Plutôt sombre, le script nous amène à suivre les traces d’une jeune enquêteuse mise longtemps sur la touche à cause d’un trauma de jeunesse qui la mine totalement. Tout à coup prise sous l’aile d’un vieux routier du métier incarné avec puissance et conviction par Ben Mendelsohn, la policière va faire preuve d’une belle clairvoyance, partageant notamment le désespoir apparent du tueur implacable que le FBI traque.
Certes, Misanthrøpe déroule de manière consciencieuse une enquête qui s’avère intéressante de bout en bout, mais l’intérêt du long-métrage est finalement ailleurs. L’on trouve ici une peinture sans détour d’une société américaine empêtrée dans ses propres contradictions. D’un côté, l’Etat chante la liberté des concitoyens, le droit de porter une arme pour se défendre, ainsi que l’acceptation des différences (l’un des personnages principaux est un homosexuel marié), mais de l’autre, une grande partie de la population ne se soumet pas à cette volonté d’ouverture. Avec Misanthrøpe, Damian Szifron plonge donc les deux mains dans cette Amérique que l’on ne veut toujours pas voir. Celle des racistes, des adeptes des armes, des déclassés et des marginaux. Celle qui a massivement voté Trump et s’apprête même à le refaire.
Mieux comprendre le Mal
La force du scénario de Szifron est de ne jamais juger ses personnages et de ne pas prétendre détenir une vérité qui serait universelle. Toujours à hauteur d’être humain, Damian Szifron ne traque pas un monstre, mais tente de comprendre le système qui peut engendrer un tel comportement. Pour cela, il fait de son enquêteuse une femme déterminée, mais totalement brisée par un passé qui ne passe pas et qui peut, de fait, comprendre les tourments de la bête traquée.
Certes, Shailene Woodley n’a aucunement le charisme d’une Jodie Foster lorsqu’elle interprétait l’agent Clarisse dans Le silence des agneaux (Demme, 1991), mais son jeu s’est un peu épaissi avec l’âge. Elle doit toutefois encore progresser pour parvenir à faire ressentir tous les tourments de son personnage au spectateur. Face à elle, on aime particulièrement le jeu de Ben Mendelsohn, ainsi que celui de Ralph Ineson, même si ce dernier intervient très tardivement dans le film.
Mené par une réalisation solide, Misanthrøpe bénéficie aussi d’une bonne musique de Carter Burwell et d’une ambiance plutôt sombre qui participe donc à la bonne impression générale qui se dégage de l’œuvre. Porté par une actrice plus charismatique, le thriller aurait pu prétendre à se hisser au niveau des grandes réussites du genre. Il n’en demeure pas moins très fréquentable.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 avril 2023
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Damian Szifron, Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Jovan Adepo, Ralph Ineson
