Chers camarades ! est un document historique lumineux doublé d’un portrait de femme tragiquement ambivalent pour évoquer la part sombre de l’URSS de Khrouchtchev.
Synopsis : Une ville de province dans le sud de l’URSS en 1962. Lioudmila est une fonctionnaire farouchement dévouée au Parti Communiste. Sa fille décide de participer à la grève d’une usine locale et les événements prennent une tournure tragique. Les autorités dissimulent la violence de la répression. Lioudmila se lance alors dans une quête éperdue à la recherche de sa fille disparue.
Retour sur les années sombres du communisme en URSS
Critique : Revenant sur des faits réels (désormais intitulés le Massacre de Novocherkassk et restés secrets jusqu’au début des années 90) survenus en juin 1962 dans une petite ville industrielle située à plus de 900 km au sud de Moscou, le réalisateur et scénariste russe Andrei Konchalovsky signe un film subtil et prenant dont l’authenticité tient autant à la qualité de l’interprétation qu’au choix d’une éclatante photographie noir et blanc au réalisme implacable.
Le 1er juin 1962, alors que le prix des denrées alimentaires ne cesse d’augmenter et que les conditions de travail à l’usine de locomotives locale se dégradent, les ouvriers se mettent en grève. Le mouvement gagne d’autres entreprises. Les directions tout autant que les autorités restent sourdes à leurs doléances. Le lendemain, le flot des manifestants grossit provoquant des heurts jusqu’à ce que des tirs mortels atteignent la foule. Vingt-six personnes sont tuées, quatre-vingt-sept sont blessées tandis que d’autres sont arrêtées, jugées sommairement ; certaines sont exécutées, d’autres déportées.
Une femme au milieu de la tourmente
De quoi réjouir Lioudmila qui, face à ces désordres, recommande les châtiments les plus sévères. Néanmoins, elle ne peut rien exiger. Seule représentante du sexe féminin, elle n’a pas le pouvoir de prendre des décisions. Elle est surtout formatée à obéir et ça lui convient très bien car, pour elle, il est impensable de contester la base du régime en place. C’est ainsi qu’elle houspille son vieux père nostalgique de l’époque stalinienne ou s’oppose à sa fille, qui rêve de davantage de liberté. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une nouvelle dispute avec sa progéniture que celle-ci quitte le domicile familial. Lioudmila n’imagine pas encore combien cette altercation va ébranler son engagement politique.
© 2020 Production Center of Andrei Konchalovsky / © 2021 Potemkine Films. Tous droits réservés.
Il est plus que fermement recommandé de ne laisser filtrer aucune information sur cette répression sanglante dont on ne sait si le commanditaire est l’armée ou les forces du KGB. Il est interdit de quitter la ville, un couvre-feu ayant été imposé. Lioudmila n’en a cure et n’hésite pas à désobéir, poussée par cet amour maternel qui, loin de ses idéaux, la contraint à voler au secours de la chair de sa chair. Celle que son amant (et d’autres collègues) qualifiait de furie reprend visage humain sous nos yeux.
Entre tragédie historique et drame intimiste poignant
En adoptant le seul point de vue de son personnage principal (merveilleusement interprété par l’actrice russe Julia Vysotskaya), dynamisé par une situation inextricable, le récit s’épanouit dans un parcours aux multiples rebondissements. Après s’être arrêté, parfois longuement mais non sans ironie , sur les discussions grotesquement houleuses de bureaucrates serviles ou insignifiants, dans tous les cas imbus d’eux-mêmes, après avoir méticuleusement reconstitué la complexité des scènes d’émeute à travers l’œil d’une caméra qui capture au plus près les expressions des visages, la tragédie historique s’efface progressivement pour laisser place à une histoire plus intime mais aussi plus universelle dont les contours seront facilement identifiables par chacun d’entre nous.
Comme sous l’effet d’un voile qui se déchire, la lumière soudain se fait plus intense et libère de son endoctrinement cette blonde égérie que sa fragilité enfin dévoilée ramène à sa destinée humaine, transformant du même coup cette page d’histoire longtemps ignorée, à la mise en scène inventive et à la photographie élégante, en un appel à la réflexion sur la dualité du bien et du mal.
Critique de Claudine Levanneur
Les sorties de la semaine du 1er septembre 2021
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