Réalisateur de l’efficacité, Joel Schumacher a su multiplier les projets commerciaux, en variant les genres et alternant bides et succès. Cet artiste à la carrière très longue est décédé à l’âge de 80 ans, le 22 juin 2020.
Ouvertement homosexuel et réalisateur militant (voir le film Personne n’est parfait(e), avec Robert De Niro et Philip Seymour Hoffman, en travesti), marqué par le traumatisme de l’épidémie du sida à laquelle il a survécu dans les années 80, Joel Schumacher a toujours su susciter le débat dans des œuvres de divertissement, au discours parfois réactionnaire corsé (Le droit de tuer?, le nauséabond 8 millimètres sur le snuff movie, avec Nicolas Cage, probablement le film hollywoodien le plus dérangeant des années 90).
Joel Schumacher enchaîne les genres avec efficacité
Peu apprécié par la critique et descendu par les cinéphiles geeks depuis son mauvais traitement de Batman dont il réalisa des épisodes bariolés défiant le bon goût (Batman Forever avec Val Kilmer et Jim Carrey, mais surtout le nanar Batman et Robin avec Schwarzenegger), Schumacher a toutefois réalisé quelques métrages très efficaces, dans le fantastique (le générationnel Génération perdue, le flippant L’expérience interdite), le thriller psychologique azimuté (Chute libre, avec Michael Douglas qui pète les plombs et s’en prend à la foule), le cinéma de guerre (Tigerland, qui révéla la plastique du jeune Colin Farrell, alors inconnu du public), et le film concept à la Hitchcock (Phone Game, également avec Colin Farrell).
Des succès à la pelle
Aux USA, ses succès sont nombreux. On citera St Elmo’s Fire, chronique à la John Hugues, Cousins (remake de Cousin, cousine de Tacchella), Le client avec Susan Sarandon et Tommy Lee Jones, Batman Forever, Le droit de tuer?… Mais on préférera retenir le teen movie fantastique Génération perdue et L’expérience interdite (1987 et 1990).
S’il commença sa carrière dès 1981 avec le méconnu La femme qui rétrécit, il tourne pour le grand écran jusqu’en 2011, date à laquelle il livre son film le plus consternant, Effraction, une commande pour Lions Gate. Il y dirige Nicolas Cage et Nicole Kidman en mode redressement fiscal. Désormais, âgé de plus de 70 ans, il est excusé.
Des années 2000 en demi-teinte
Il a par ailleurs réalisé le buddy movie estival Bad company (avec Chris Rock et Anthony Hopkins), forcément mineur ; le biopic bien torché Veronica Guerin avec Cate Blanchett ; le musical Le fantôme de l’Opéra, d’après l’œuvre de Andrew Lloyd Webber ; le film d’horreur Blood Creek avec Michael Fassbender et Henry Cavill ; le film d’épouvante avec Jim Carrey ; Le nombre 23, et sa version poudreuse de Gossip Girl, Twelve, avec Chace Crawford et Emma Roberts, 50 Cent et Zoe Kravitz, un échec coproduit par Gaumont.
Il participe activement à l’ascension de la jeune Julia Roberts
Dans sa période faste (1987-2000), il a connu un vrai bide estival avec son second film avec Julia Roberts, Le choix d’aimer (1991). Le mélodrame raté sur fond de maladie. Il s’agissait du premier faux pas de la jeune actrice qui sortait des succès consécutifs de Pretty woman, L’expérience interdite et du déjà bien mauvais Les nuits avec mon ennemi. Elle portait Le choix d’aimer sur ses seules épaules, comme peu de jeunes comédiennes américaines étaient alors autorisées à le faire par les pontes de Hollywood.
Une œuvre méprisée par l’intelligentsia, pourtant loin d’être lisse
Avec son style visuel souvent détonant, son goût du rythme et de l’efficacité, Joel Schumacher a su en faire à sa tête à une époque (les années 90) peu ouverte sur la diversité. Abordant frontalement la cause noire (Le droit de tuer?) avec le discours ambigu de la légitime vengeance, il saupoudre aussi ses films d’homo-érotisme à une époque où la norme hétérosexuelle domine le blockbuster, lui valant des critiques souvent déplacées qui ont du moins diminué la réelle valeur de ses œuvres au yeux du grand public.
A y regarder de plus près, son œuvre demeure plutôt appréciée par un public large (ses films n’ont que très rarement des notes négatives sur le site de référence IMDB). Quasiment un exploit pour cet électron libre bien moins lisse que la plupart des réalisateurs qui ont émergé au début des années 90 (Roland Emmerich…). Mais il demeure puissamment méprisé par l’intelligentsia des critiques qui n’aura pas forcément fait son job, restant à la surface d’une œuvre pourtant foisonnante.