Note des spectateurs :

Un magnifique point d’interrogation pour clore le triptyque entamé par Bloodsports. Un album fulgurant de beauté sombre et crépusculaire qui transcende l’ensemble de la carrière du groupe de Brett Anderson, et redéfinit de ce fait l’âge des possibles.

Sortie : 21 septembre 2018
Label : Warner Music

Depuis la reformation autour du projet Bloodsports en 2013, Suede a largement tiré les leçons des échecs artistiques que furent Head Music et l’inaudible A new morning, faisant resurgir la quintessence de leur rock extatique, enroulé dans des vibes dark et toniques où la guitare conduit toujours à une explosion d’émotions. 
Le successeur à BloodsportsNight Thoughts (2016) orientait le groupe vers une pente encore plus sombre, débarrassée de toutes velléités commerciales. Le résultat était vibrant, accompagné par un assemblage de clips pour chaque morceau qui formait un tout cohérent.(

Aujourd’hui, l’album The Blue Hour surprend. Par sa grandiloquence, son ambition dépressive et son aspect testamentaire et hivernal qui semble vouloir clore un triptyque avec les formes.
Ce long projet de 14 morceaux passe mal lors de la première écoute tant la boursouflure des chœurs, empreinte quasiment d’une religiosité intérieure, peut dérouter (le morceau As one est chargé de plonger l’auditeur dans une dépression in media res, on citera également le cinématique All the wild places qui peut à tort dérouter). On pense immédiatement à l’épique Six de Mansun, dont l’ambition démesurée avait coulé leur carrière, taxé de prétention nihiliste à sa sortie quand on pouvait aussi y voir une forte dose de génie d’ego libéré. C’était l’un des meilleurs albums britanniques de la seconde moitié des années 90, et il le demeure encore !
Les efforts de Suede pour tirer The Blue Hours vers une évolution crépusculaire prennent toutefois tout leur sens, dès que l’on parvient à distinguer en unités reconnaissables chacun des titres, ce qui n’est pas aisé lors des premiers instants massifs, forgés dans la construction spectaculaire des chansons.

Pourtant in fine, cet excès d’outrecuidance et de grandeur s’orchestre en un aveu fascinant d’une étape de vie franchie vers un lendemain inconnu dont on ne connaît en rien la teneur, mais qu’il faudra pourtant vivre dans sa différence, toujours avec l’espoir. La thématique juvénile à la première personne, véritable incursion miroir dans les tourments d’un âge aux lendemains inconnus, accouche de moments de tristesse qui déchirent le peu de gaieté qu’il nous restait pour la journée. La voix de Brett Anderson est impériale de désespérance et, alternant ou se couplant avec des solos de guitare errants, elle se combine à des morceaux qui nous convient à une idée de la perfection dans le désordre émotionnel, le chaos existentiel, la plus belle des forces créatrices. 


Des monuments aux plus belles heures de Suede, The Blue Hour en comporte une bonne demi-douzaine, entre Wastelands, Beyond the outskirts et surtout Don’t be afraid if nobody loves you et le final de 6’41 de Flytpping qui mettront les fans hardcore du groupe dans la sphère des acquis d’office. 
Au creux de cette flamboyance morbide d’un hiver qui doit passer, l’ambiance est étayée par des morceaux qui ont tout autant de pertinence dans leur proposition de l’intime, car plus courts, plus dépouillés, mais tout aussi renversants.
The blue hour prend aux tripes et s’achève en magnifique point d’interrogation quant à l’avenir musical du groupe, car entre requiem et renaissance, ce 8e opus produit par l’increvable Alan Moulder (Foals, The Smashing Pumpkins, The Killers, Nine Inch Nails…) redéfinit l’âge des possibles. Celui de la formation, la nôtre, en magnifique mise en abîme spectrale.

Critique de Frédéric Mignard