Récit d’apprentissage et d’émancipation, Ma part de Gaulois revient avec pertinence sur la France des banlieues des années 70-80. Le tout est amusant, léger et intelligemment écrit.
Synopsis : Destiné à un CAP Mécanique, Mourad se retrouve finalement en cursus général grâce aux stratagèmes de sa mère. Objectif : le bac ! Une formalité pour les «Français» du centre-ville mais un événement sismique pour Mourad et son entourage : le premier de la cité à aller jusqu’au bac ! Dans son lycée général, séparé de ses copains du quartier, il rencontre de nouveaux amis qui lui font découvrir la musique.
L’adaptation d’un livre à succès
Critique : En 2016, le chanteur et écrivain Magyd Cherfi (surtout connu pour son activité artistique au sein du groupe Zebda) sort son troisième livre intitulé Ma part de Gaulois. Cette autofiction où il revient sur la naissance de sa vocation artistique et sur ses années de jeunesse a rencontré un beau succès en librairie, tout en étant présélectionné pour le Prix Goncourt 2016.
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Déjà attaché à l’œuvre de l’écrivain et musicien, le réalisateur Malik Chibane (Hexagone ou encore Douce France, dans les années 90) se met en quête d’acheter les droits d’adaptation pour le cinéma car ce récit correspond parfaitement aux thématiques qui innervent son œuvre depuis ses débuts, à savoir l’émancipation des gens issus de l’immigration. Il se met en quête de producteurs (Virgile Godillon et Nadia Hasnaoui) et Magyd Cherfi lui donne très facilement l’autorisation de modifier le récit d’origine.
L’ascenseur social grippé, mais pas bloqué
Tourné dans la banlieue de Toulouse, Ma part de Gaulois nous replonge dans la France de la fin des années 70 et du début des années 80. Nous suivons les pas du petit Mourad, enfant d’immigrés algérois, qui a été précocement orienté vers un CAP mécanique, comme cela se pratiquait à l’époque où la phase d’orientation débutait dès la 5ème. Les auteurs rappellent ainsi que la plupart des beurs se retrouvaient de facto dans une filière professionnelle et que rares étaient ceux qui allaient au lycée. Ainsi, un enfant d’ouvrier était quasiment certain de finir à l’usine par une sorte de déterminisme social, intégré par les institutions.
Toutefois, le jeune Mourad a la chance d’avoir une mère déterminée à ce que son fils passe le baccalauréat. Pour cela, elle peut compter sur le soutien de certains professeurs qui font confiance au gamin pour se mettre sérieusement à niveau. Dès lors, Ma part de Gaulois insiste sur la détermination de cette mère de famille – formidable Adila Bendimerad – pour que son fils réussisse, là où eux ont échoué. Le père joué par Lyes Salem est davantage en retrait puisque, comme dans de nombreux foyers, c’est la femme qui dirige son monde, même si elle demeure confinée au foyer.
Ma part de Gaulois ou le champ (chant ?) des possibles
Sorte de success story qui se fonde sur l’expérience vécue par Magyd Cherfi, mais aussi Malik Chibane, Ma part de Gaulois revient avec une belle pertinence sur ces années 70-80 où les thématiques de la banlieue étaient quelque peu différentes d’aujourd’hui. Moins marquée par la religiosité, cette génération d’immigrés est parvenue à s’intégrer progressivement et à s’émanciper d’un destin apparemment tout tracé. Toutefois, si le film peut apparaître à certains comme trop idyllique, le personnage de Nourdine, le copain qui tourne mal, est là pour rappeler que la tentation de la délinquance est grande dans un environnement aussi sensible.
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Historiquement juste, Ma part de Gaulois rappelle avec justesse que lors de l’élection de François Mitterrand à la présidence en 1981, de nombreux Algériens ont craint de devoir quitter la France. Après tout, l’homme politique n’avait-il pas déclaré dans les années 50 que l’Algérie devait rester française ? Pourtant, le président, un homme décidément toujours aussi ambigu, a finalement œuvré au rapprochement entre la France et l’Algérie, tout en régularisant un nombre conséquent de sans-papiers.
Cela se manifeste dans le film par l’opposition entre le père qui rejette l’élection du président et son fils qui entrevoit l’avenir de manière plus sereine grâce à la gauche au pouvoir. D’ailleurs, peu de temps après, la grande marche pour l’égalité et contre le racisme qui s‘est déroulée d’octobre à décembre 1983 en est la manifestation la plus évidente.
Un manifeste contre l’essentialisation et pour l’universalisme républicain
Interprétée avec talent par l’ensemble des acteurs (menés par un très juste Abdallah Charki dans le rôle principal), Ma part de Gaulois est une œuvre réalisée avec un soin particulier apporté à la reconstitution, tout en proposant quelques belles propositions de mise en scène (plan séquence, arrêts sur image, accélération ou retour en arrière des images). Mais surtout, elle rappelle que le modèle d’intégration à la française peut fonctionner grâce aux différents acteurs associatifs, mais aussi aux professeurs et donc à l’école. En creux, le cinéaste met donc en garde les jeunes générations contre le retour du religieux et contre l’essentialisation qui finissent par fissurer l’idéal républicain.
Sorti le 31 janvier 2024 dans les salles par le distributeur indépendant Alba Films, Ma part de Gaulois n’a attiré que 5 970 spectateurs dans toute la France pour sa semaine d’investiture. Un score très décevant qui a poussé les exploitants à s’en débarrasser au plus vite. Dès la semaine suivante, la comédie sociale ne trouve plus que 1 306 retardataires. Après seulement deux mois d’exploitation, Ma part de Gaulois est un terrible échec qui émarge à 10 672 entrées. Cela l’a empêché de sortir au format physique et les cinéphiles devront se contenter de la VOD pour découvrir cette jolie adaptation qui méritait un accueil plus chaleureux.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 31 janvier 2024
Voir le film en VOD
© 2024 Dellys Films / Affiche : Edouard Chastenet. Tous droits réservés.
Biographies +
Malik Chibane, Adda Senani, Lyes Salem, Adila Bendimerad, Abdallah Charki
Mots clés
Cinéma français, Récit initiatique, Les lycéens au cinéma, Les banlieues au cinéma, Reconstitution des années 80
