Des hommes est un documentaire fort qui rend leur dignité à ceux à qui la prison l’a confisquée.
Synopsis : 25 jours en immersion dans la prison des Baumettes. 30 000 mètres carrés et 2 000 détenus dont la moitié n’a pas 30 ans.
Une prison qui raconte les destins brisés, les espoirs, la violence, la justice et les injustices de la vie. C’est une histoire avec ses cris et ses silences, un concentré d’humanité, leurs yeux dans les nôtres.
Critique : Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, journalistes et réalisateurs de documentaires, respectivement lauréate et lauréat du prix Albert-Londres en 2012 avec Zambie à qui profite le crime ? et en 2010 avec La mise à mort du travail, sont depuis toujours attentifs à la marche économique et sociale du monde. Il y a quelques années, ils signaient deux films consacrés au quotidien de femmes confrontées à la prison, dans la région de Marseille. Une première immersion dans un monde dont on parle peu et qui les pousse à s’interroger sur la façon de rendre la justice en France à travers ce regard sans voyeurisme posé sur les détenus des Baumettes. Alors que le Conseil de l’Europe ne cesse de dénoncer l’état des prisons françaises et les mauvaises conditions de détention, un sondage récent montre qu’une partie de la population souhaite un durcissement de la situation des détenus.
Microcosme de misère
Troublante constatation au pays des Droits de l’Homme où depuis longtemps la justice ne se contente pas de priver de liberté ceux qui, par immaturité, manque de soutien ou même malchance, se sont égarés sur la mauvaise voie. Oubliant volontairement qu’ils n’en demeurent pas moins des hommes, elle les condamne à subir infantilisation, humiliations et solitude, tout en sachant pertinemment que dans ces conditions, la prison abîme encore bien davantage qu’elle ne répare.
Pourtant, ce documentaire n’a pas pour but de faire le procès d’un système judiciaire archaïque. Bien loin des reportages tapageurs ou larmoyants que nous offre parfois quelque chaîne de télévision complaisante, il s’agit juste de rendre compte de ce qui reste d’humanité dans un endroit où tout a été mis en œuvre pour la balayer. Ici, rien de phénoménal, pas de scoop, ni de casting préconçu. Juste le désir de faire entrer le spectateur, grâce aux images, dans un univers habituellement invisible, au contact de cette détresse terrible qui fait les regards vides et les corps figés ou de cette marginalisation qui amène les plus enragés à tuer pour un paquet de cigarettes, sans vraiment prendre conscience de l’horreur de leurs actes.
De ce décor d’insalubrité et de promiscuité aux murs lépreux et aux canalisations suintantes, prisonniers comme personnel pénitentiaire se prêtent aux jeux de la caméra, parvenant même à faire jaillir au cœur de cette dureté quelques instants de fraternité et d’humour.
Des hommes et des destins broyés
Des plans fixes s’attardent sur la dignité des uns, sur la bonne volonté des autres, prenant toujours bien soin d’éviter tout sensationnalisme et tout jugement. On est frappé par les propos fatalistes, sans haine ni tricherie de ce garçon de dix-neuf ans, multirécidiviste, qui rêve de s’en sortir un jour. Sous l’allure martiale et le ton direct de la procureure filtrent bienveillance et empathie pour ce jeune homme timide qui lui fait face et à qui elle ne manque cependant pas de rappeler, avec ce phrasé déterminé qui la caractérise, qu’il n’est malgré tout pas un saint, ce qu’il admet. Dans cette multitude de témoignages qui démontrent le désarroi affectif et le manque de moyens, surgissent miraculeusement des bribes d’humanité.
Des hommes est in fine un documentaire saisissant qui reste longtemps en tête, tant la description de l’incapacité d’une démocratie aussi riche et prospère que la nôtre à prendre en charge les éléments de sa population à la dérive, laisse dubitatif.
Critique : Claudine Levanneur