Sébastien Lifshitz est un réalisateur né en 1968. Après des études d’histoire de l’art, il travaille dans un premier temps dans le domaine de l’art contemporain avant de signer un court métrage en 1994, puis, en 1995, un documentaire sur Claire Denis.
Cinéaste de son époque, épris de liberté filmique et toujours prêt à aborder des thématiques marginales, le jeune homme hésite pendant une dizaine d’années entre la fiction et le cinéma documentaire.
Entre fictions et documentaires, Sébastien Lifshitz devra choisir
Malgré de nombreuses sélections dans des festivals prestigieux, ses fictions ne remportent pas la reconnaissance du public et Sébastien Lifshitz est cloisonné dans le circuit art et essai. C’était la place du moyen métrage Les corps ouverts (1997). Mais Presque rien, avec son affiche de Pierre et Gilles, et les acteurs à la mode Jérémie Elkaïm et Stéphane Rideau, démontrait des envies de s’orienter vers le cinéma de François Ozon qui émergeait à la même époque.
Trop arty, sa fiction suivante, Wild Side, est un douloureux échec (2004) et doit se contenter d’un Teddy Award à Berlin. Plein Sud en 2009 bénéficie d’acteurs plus célèbres, donc Nicole Garcia, et du talent des prometteurs Yannick Renier et Léa Seydoux, mais l’échec en salle est de nouveau impitoyable.
Les invisibles et Bambi, un diptyque magnifique
Sébastien Lifshitz semble abandonner le cinéma narratif pour le documentaire auquel il se consacrera avec grand succès tout au long des années 2010. Après la réussite de La traversée en 2001, sa seconde incursion réelle dans le documentaire, il frappe fort en 2012 avec une œuvre sur des insoumis homosexuels qui ont vécu leur différence au grand jour quand la société rejetait totalement cette sexualité. Les invisibles est l’un des grands documentaires français de la décennie ; le film magnifique fait entrer l’homosexuel, ses amours, dans une Histoire que n’aurait pas reniée Varda ou Depardon à qui l’on pense beaucoup. Le film unique en soit remporte de très nombreux prix, le plus beau étant celui du César du Meilleur film documentaire.
Le cinéaste et son acuité de la perception de l’autre dans ses différences qu’il normalise avec beauté, fait un sans-faute durant la décennie. Bambi, sur la figure de la nuit transgenre, proche de la célèbre Coccinelle, est encore une fois une réussite patente qui se trouve diffuser simultanément sur Canal+ et en salle. Sébastien Lifshitz convoque le passé, refuse de le laisser à l’oubli, pour mieux combattre les préjugés contemporains. Il est de nouveau nommé au César du Meilleur documentaire et reçoit encore un Teddy Award dans cette catégorie. La moindre des choses.
En 2016, Sébastien Lifshitz s’intéresse à la militante féministe LGBT Thérèse Clerc. Les vies de Thérèse est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes. Encore un beau document.
Le triomphe d’Adolescentes, documentaire fleuve réalisé sur cinq ans
Malgré la crise du coronavirus, son documentaire exceptionnel sur l’adolescence, tourné sur cinq ans, Adolescentes, trouve un grand succès en salle, un an après Locarno où il fut sélectionné en août 2019. L’auteur y démontre une aisance dans le filmage et se soustrait totalement dans un exercice d’intimité jamais voyeuriste. Son regard sur la crise de l’adolescence, l’évolution de deux jeunes filles durant cet âge difficile et dans des milieux sociaux différents, est approchée avec une pudeur formidable. Adolescentes remporte plusieurs nominations aux César dont celle du Meilleur film et du Meilleur film documentaire.
En huit semaines d’exploitation, Adolescentes réalise 105 000 entrées sur la France. Alimenté au gré des semaines par un formidable bouche-à-oreille, ce projet de longue haleine voit sa carrière s’achever avec la crise du coronavirus qui confine la France une seconde fois. Les salles de cinéma ferment pour un temps indéfini. Peu importe, la réputation exceptionnelle du documentaire est bâtie et dépasse le simple cinéma du réel.
Durant cette année 2020, exceptionnelle à tous les égards, Sébastien Lifshitz est sélectionné à Berlin pour Petite fille. Cette fois-ci l’artiste sociologue suit pendant un an le quotidien d’une enfant transgenre, scolarisée en CE1. Le film diffusé sur Arte est une nouvelle preuve d’un militantisme pour la reconnaissance par l’intelligence et la sensibilité.
Toutes ces réussites démontrent le talent et la singularité de l’œuvre de Lifshitz ; elles valent bien qu’on oublie les errances de ses débuts ; mieux : que l’on cherche à les revoir pour mieux analyser l’artiste et son travail dans son ensemble. Il le mérite.
Filmographie :
- 1996 : Claire Denis la vagabonde (documentaire)
- 1997 : Les Corps ouverts
- 1999 : Les Terres froides (téléfilm)
- 2000 : Presque rien
- 2001 : La Traversée (documentaire)
- 2004 : Wild Side
- 2007 : Les Témoins (série documentaire)
- 2009 : Plein sud
- 2012 : Les Invisibles (documentaire)
- 2013 : Bambi (documentaire)
- 2016 : Les Vies de Thérèse (documentaire)
- 2019 : Adolescentes (documentaire)
- 2020 : Petite fille (documentaire)