Le luxuriant Le renard et l’enfant a été l’occasion de rencontrer Luc Jacquet à l’ancien QG de la firme Disney France près des Champs-Elysées. Le film pastoral démesuré qui vient redorer le blason esthétique de la campagne française valait bien cette rencontre. Un conte rustique que défend ardemment son cinéaste, le talentueux Luc Jacquet.
Frédéric Mignard : Le renard et l’enfant, c’est l’après La marche de l’empereur. L’un des plus gros succès français de tous les temps à l’étranger. Comment sort-on d’un tel triomphe ?
Luc Jacquet : On s’en sort en travaillant encore plus. En fait, en avril 2005, alors que le succès du film était déjà beau et inattendu en France, je revois les gens de Bonne Pioche, on dresse un bilan satisfaisant de cette expérience qui nous a appris tant de choses. On manifeste alors notre envie de retravailler ensemble. Je leur propose le projet du Renard, écrit avant La marche.
Lorsque La marche est en train de grossir, on est alors en pleine production de mon second long. Pendant un moment, La marche est devenu tellement gros qu’il en a presque cannibalisé Le renard et l’enfant. J’ai été obligé de suivre le film dans le monde entier, partir aux Etats-Unis trois fois. Mais parallèlement, j’étais toujours sur Le renard. Trois jours après l’Oscar de La marche à Hollywood, j’étais de retour sur le tournage. Il n’y avait pas d’état d’âme. Aucune pression. Le renard est né dans une situation idéale.
Et la version américaine de La marche, vous a-t-elle satisfait ?
Oui, même si j’aurais très sincèrement préféré avoir la musique d’Emilie Simon, mais quand on a vendu le film à Sundance début janvier 2005, avant même la sortie française, les Américains ont été très clairs ; c’était à prendre ou à laisser. Une voix anglaise qui raconte une histoire sur l’histoire, en plus chantée par une Française, c’était hors de question pour eux. C’était à nous de prendre la décision. On en a parlé entre nous, les producteurs, Emilie et moi, et on a décidé de faire cette concession plutôt que de priver le film d’une sortie américaine. Et a posteriori je crois qu’on a bien fait.
C’est sûr vu le triomphe, 70 millions de dollars de recettes, c’est cela ?
Oui, 77 plus exactement.
Comment est née l’idée du Renard et l’enfant ?
Elle est née de beaucoup de choses. Je pourrais vous citer pêle-mêle l’envie d’aller voir ce qui se passe au moment où un animal et un enfant lèvent les yeux l’un sur l’autre. Qu’est-ce qui arrive alors ?
Il y avait aussi l’envie de travailler avec cette espèce de second rôle qu’est le renard, qui a pendant longtemps été énormément utilisé dans la littérature. C’est quand même notre premier héros de roman, dès le XIIe siècle. On le retrouve dans tous les livres pour enfants, dans les fables…
Curieusement, il est assez rare aujourd’hui au cinéma.
Exactement, ça aussi cela m’a motivé. J’avais envie d’exploiter son potentiel en le mettant en haut de l’affiche. Et j’avais aussi envie de filmer la nature de chez moi, pour ne pas dire la nature chez moi. Je voulais dire au public qu’il est tout à fait possible de s’émerveiller en observant ce qui se passe derrière chez soi. L’aventure, ce n’est pas seulement une question de voyage ; ce n’est pas une question de distance ; c’est juste une question d’état d’esprit. C’est accepter de vagabonder, de se laisser aller, de se laisser gagner par la nature et d’admettre qu’on puisse y être surpris.
J’avais aussi, après l’Antarctique, envie de briser cette malédiction qui veut que dès qu’un homme entre dans un paysage, celui-ci se vide de ses acteurs. De donner le pouvoir à l’homme d’être invisible dans le cadre naturel, de mettre en avant tous les autres acteurs de la vie, des choses insolites que moi-même je n’avais vues. Et que les spectateurs n’avaient pas vues non plus. Prenons l’exemple du lynx qui attaque le renard dans le film. C’est quelque chose que l’on voit dans les livres d’histoire naturelle. On sait tous que le lynx est un prédateur du renard. C’est tout. Moi, avant de travailler sur ce long, des lynx, j’en avais vus une fois dans ma vie et pourtant je m’y suis promené dans la nature ! C’est exactement ce genre de choses que j’avais envie de montrer.
Vous sublimez la nature dans votre film !
Je raconte la nature telle que je la ressens. Ce n’est pas par souci d’esthétisme. Je souhaitais transmettre des images de mon ressenti vis-à-vis d’elle. Je recherchais des moments, un lever de soleil, des feuilles ou la neige qui tombent, des lumières d’orage ou de cumulus… Ce sont tous ces visages de la nature qui m’émeuvent vraiment. Car il y a là une vraie puissance à partager.
Le rapport de l’enfant à la nature est anachronique.
Le mot est juste. Pour moi, la relation entre un enfant et la nature devrait être naturel. J’ai vécu comme cet enfant, avec le droit de me promener dans la nature, complètement libre. Sans que mes parents s’en inquiètent. La nature, vingt kilomètres à la ronde, c’était chez moi. Parce qu’on me l’avait apprise, parce que mes grands-parents ou mes voisins me l’avaient apprise. Je connaissais les coins à champignons, le nom des champs, le nom de ceux à qui appartenaient ces champs… Je partais le matin pour revenir le soir, c’était naturel.
Aujourd’hui, je découvre les réactions des parents urbains, qui n’ont jamais mis les pieds dans la nature. Ils me font part de leur surprise par rapport à cette liberté qu’a l’enfant dans mon film. Ils me demandent si je n’ai pas peur pour elle. Mais pourquoi devrais-je avoir peur ?
Par rapport au casting, comment avez-vous choisi la petite Bertille ?
Bertille, c’est le paradoxe entre la ville et la campagne. C’est une petite urbaine qui a découvert la campagne à travers le tournage. Je suis allé la chercher dans un casting de 800 enfants. On m’en avait sélectionné 60. Bertille était bien au-dessus du lot. Elle m’a touché. Je me souviens encore des quelques scènes qu’elle a jouées dans la chambre d’hôtel du casting. Il y avait déjà tout un monde qui s’ouvrait dans son jeu. Parfois, les enfants surjouent. Pas Bertille. Elle était dans la réserve. Dans le mystère. Dans le secret. C’est ce dont j’avais envie, ce que je voulais raconter. Je délivre à partir de ce personnage une partie de moi-même, des choses qui me touchent. Le choix de l’enfant était donc essentiel.
L’image du renard est pleine de malice, le visage de Bertille également. Comment en êtes-vous arrivé à ce degré de complicité entre les deux ?
Ça, c’est Bertille qui y est parvenue. Il y a eu un moment dans le tournage du film où l’on est passés de l’autre côté. Bertille, à ce moment là, a vécu l’histoire du personnage. Elle l’a vécue avec un renard dressé, qui s’appelle Titus (celui de l’affiche). Un renard qui depuis dix ans travaille avec des enfants, car sa propriétaire, Marie-Noëlle Baroni, monte pour eux des spectacles afin d’enseigner à ceux qui ignorent tout de la campagne ce qu’est une vache ou un blaireau.
D’un côté, il y avait un renard qui aimait les enfants, et de l’autre Bertille qui a vite compris comment il fonctionnait. Marie-Noëlle lui a donné toutes les clés pour le comprendre et se faire comprendre de lui. Elle lui a enseigné les gestes à faire et à ne pas faire pour éviter de susciter ses craintes. Ainsi, une main tendue vers son museau afin de le caresser, c’est pour lui une agression, comme si on rentrait dans sa bulle.
Il y a eu un basculement quand Bertille et le renard se sont mis à jouer ensemble. Ils ont vécu un truc entre eux. Et nous on était dehors. Ils ne jouaient plus ou alors ensemble. Cela fait partie des cadeaux que cette aventure nous a apporté à tous.
Les adultes se distinguent par leur absence ! Avez-vous songé à inclure des personnages adultes dans le récit ?
Pas à un seul moment. Ce qui est important, c’est que l’on comprenne que l’enfant vit dans un environnement social qui est normal et sain. Que ses parents s’inquiètent parfois pour elle, qu’elle va à l’école. Elle ne va pas dans la nature par solitude ou parce qu’elle est autiste. Elle traverse la nature tous les jours, c’est son environnement. Une fois grande et devenue à son tour maman, elle essaie de transmettre tout cela à son enfant, c’est ce souvenir là, cette ligne de narration là qui nous importe. Après, tout ce qui se passe autour, avec les adultes, cela n’apporte rien au récit.
(décembre 2007, merci à Aude Thomas et Floriane Mathieu)